LES RACINES DU SOLEIL
OU SOUVENIRS EXTRAORDINAIRES
D’UN PIED NOIR ORDINAIRE

P . L. Salas
Ce dernier souriant et jouant le jeu pas dupe de mon manège , s'assit à mes côtés et vu les circonstances , nous nous présentâmes l'un à l'autre , fîmes connaissance et bavardâmes à bâtons rompus tout au long du trajet, qui durait environ une heure.

Cet homme d'une quarantaine d'années, affable et très ouvert, me parût d'une grande gentillesse et d’une extrême courtoisie. Il avait l'air d'un philosophe tant ses propos étaient frappés au sceau du bon sens et paraissaient empreints de sagesse . Il me semblait posséder une grosse expérience de la vie. A son contact ,je me sentais détendu et envahi par un sentiment étrange de confiance, n'hésitant pas à lui parler de moi ,d'où je venais et de ma famille.

Nous découvres avec étonnement que nous avions des points communs et j'appris ainsi qu'il venait comme moi de Sidi-Bel-Abbés , qu'il avait quitté deux ans auparavant pour s'installer à Casablanca, avec sa famille et qu'avec son épouse, ils avaient monté un salon de coiffure mixte à quelques pas du Boulevard de la Gare, artère commerçante principale de la ville.

Je connaissais par hasard une partie des proches parents de son épouse née ,à Sidi-Bel-Abbès, où ils s 'étaient mariés.

De leur union étaient nés une fille et un garçon âgés respectivement de dix-sept et dix ans.

Nous en serions sûrement restés là ,sans une coïncidence étrange, ( en est-ce-bien une, personne n'étant maître de son destin), car nous descendîmes au même arrêt.

Il habitait à deux pas de là . Il me proposa tout naturellement de monter prendre un pot chez lui pour me présenter sa famille. Selon lui , sa femme serait heureuse d'avoir des nouvelles à travers moi, de quelques uns de ses proches. J'acceptai son invitation. Nous montâmes jusqu'au 4 eme étage d'un immeuble bourgeois où il habitait, et arrivés là il me présenta aux siens.

C'étaient des gens simples , charmants et très accueillants, mais je n'avais d'yeux que pour la jolie jeune fille qui se trouvait là, leur fille Yvette, un peu timide et peut-être gênée de voir arriver un inconnu, tentant désespérément de dissimuler sous la table une orange qu'elle épluchait à mon arrivée.

C'était un endroit propret sentant bon l’encaustique , pas très grand , mais meublé correctement . Les appartements, à Casablanca à cette époque, coûtaient une fortune à l'achat ou à la location. Un piano trônait sur un côté., avec des photos de famille posées dessus.

On m'invita à m'asseoir, on me servit un rafraîchissement et on parla de Sidi-Bel-Abbés et des personnes de leur famille que je connaissais et rencontrais parfois.

Mes nouvelles connaissances avaient vécu en Algérie jusqu'en 1937,à Hammam-Bou-Hadjar, (où était née leur fille). En vacances en Espagne, dans la région d' Alcoy ,(dont le mari était originaire) , ils se trouvèrent bloqués par la guerre civile et la fermeture des frontières.

Pendant leur séjour forcé prolongé en Espagne ,un garçon prénommé François, est venu au monde.

Rentrés en Algérie, à la fin de la guerre civile Espagnole , ils vécurent à Sidi-Bel-Abbés avant de partir prendre la gérance du salon de coiffure du "Grand Hôtel" de Bou-hannifia les Thermes, seule Yvette était restée, logée chez une tante pour continuer à poursuivre au conservatoire de la ville ses études de piano (commencées en Espagne), sous la direction d'un professeur de musique ,Monsieur Boyer, professeur de musique à mon ancien lycée que je connaissais bien. Elle obtint d'ailleurs, le premier prix du conservatoire de la ville de Sidi-Bel-Abbès. Et présente, dans ma ville, je n'avais jamais croisé sa route.

A ce moment, quelqu'un frappa à la porte, et entra. Je devinai que c'était un familier. Il s'agissait d'un jeune homme de mon âge que de prime abord et un peu désappointé je pris pour le soupirant de Yvette quand on me le présenta. Il habitait avec ses parents sur le même palier et je devinai vite, qu'il devait s'agir d’un parent proche, en fait il était un cousin germain.

Le visage du nouveau-venu, me sembla familier. Regardant machinalement sa main gauche, je sursautai, car je venais de m'apercevoir qu'il lui manquait une phalange de l'annulaire . Par ce détail je venais de reconnaître un ancien camarade de lycée (classe de 6°), perdu de vue depuis quelques années et pour cause, ses parents ayant fait également partie de la vague d'Européens venus d'Algérie, pour s'installer à Casablanca , comme mes hôtes et comme l'associé de mon père.

Je lui demandai si lui aussi était de Sidi-Bel-Abbès et s'il avait fréquenté le lycée De Sonis. Il acquiesça aussitôt et après quelques secondes de réflexion intérieure, il se souvint enfin de moi.

Un climat de détente s'installa entre nous , et André, mon ancien camarade de lycée , m'invita à me faire découvrir Casablanca et les lieux fréquentés par la jeunesse locale.

Bien entendu , j'acceptai et rendez-vous fût pris pour le lendemain. Sur la lancée, j'invitai la jeune cousine à se joindre à nous .Elle interrogea ses parents du regard et accepta . Inutile de vous préciser que j'étais heureux qu'elle nous accompagnât, car j'éprouvais un sentiment étrange et inconnu de moi à ce jour qui me troublait curieusement.

Le lendemain et les jours suivants, nous nous revîmes et devenions inséparables. Nous allions nous promener, danser, ou au cinéma et nous constations que nous partagions les mêmes goûts et les mêmes aspirations. J'avais l'impression que la cour discrète que je faisais à Yvette, ne la laissait pas indifférente, et la veille de mon retour de ces vacances qui furent les plus belles de ma vie jusqu’à ce jour, je lui déclarai que j’étais amoureux d’elle et elle m’avoua qu’elle aussi partageait des sentiments identiques.

J’étais profondément troublé et ému, mais fou de joie. et nous nous contentâmes de nous presser fortement la main par laquelle on se tenait.

A cette époque, c’était plus facile d’escalader l’Everest et d’avoir le courage d’un toréador , plutôt que d’embrasser une fille de famille sans risquer de se prendre une tarte; et pour cela il n’y avait rien à faire avant un sacré bout de temps et encore fallait-il, au préalable, déclarer officiellement ses sentiments.. Et le temps nous manquait puisque je quittais le Maroc le lendemain .Aussi nous nous fîmes la promesse de nous écrire le plus souvent possible et surtout de nous revoir à la première occasion..

Le lendemain, avec mes parents, nous reprenions le chemin du retour ; j'avais un noeud à l'estomac et je me sentais un peu triste d'avoir quitté celle qu'en moi-même, je considérais déjà un peu comme ma fiancée.

En fait, nous nous écrivîmes tous les jours pendant cinq longues années que durèrent nos fiançailles, officieuses d'abord ,officielles ensuite à partir de la quatrième année ; cinq ans entrecoupés de voyages et de courts séjours à Casablanca. que j'entreprenais régulièrement tous les six mois.

Au cours de ces voyages, j'étais hébergé chez mes futurs beaux-parents et mon séjour se passait à la vitesse de l'éclair, mais nous en profitions bien , dans le respect dû à mes hôtes et à la confiance qu'ils nous accordaient . On allait au cinéma , à la piscine municipale , ou à Fédala l'une des plus belles plages qu'il m'ait été donné de connaître .Nous passions la journée dehors et le soir venu, nous allions chercher mes futurs beaux-parents au salon de coiffure puis nous rentrions.

Avec le recul ,c'est fou comme le sort peut se montrer ironique et réserver des surprises aux pauvres humains que nous sommes. Aucun ordinateur au monde , aussi perfectionné soit-il , ne peut donner le numéro gagnant d'une loterie et là , dans une ville de plus d'un million d' habitants , située à 1000 kms de chez moi , je tombai sur des personnes que j'avais probablement croisé déjà dans ma vie ,sans les remarquer plus que cela ,et ils devaient jouer par la suite un rôle de premier plan dans mon existence.

C'est cela qu'on appelle caprices du destin.


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Ce qui précède était l’Algérie heureuse d’avant les événements . C’était le prélude à huit années d’une guerre larvée, sournoise, avec ses horreurs et ses massacres dans les deux camps.

Et on ne peut ressentir qu’ un dégoût profond à l’idée que les dés étaient pipés au départ ; Alors pourquoi ces politicards de tous bords ont-ils endossé la responsabilité de ce gâchis monumental. Pourquoi avoir fait massacrer des milliers d’innocente victimes dont la plupart ignoraient quel côté était le bon et qui était qui? Puisse le sang qu’ils ont sur les mains ,leur retomber un jour sur la tête. Ils ne méritent pas notre respect.

N’eut-il pas été plus simple de faire une politique de franchise en prenant en compte l’évolution des peuples du Monde qui voulait que tôt ou tard cette indépendance soit effective, mais en douceur et progressivement , dans le giron de la France et sous sa protection, un peu comme en Afrique du Sud ou le Commonwealth de nos amis Anglais si longtemps décrié et critiqué mais toujours là envers et contre tous.

Il y avait sûrement autre chose à faire que d’accepter une liquidation de biens pour ...”.suffisance d’actif “ et un piteux renoncement aux valeurs que nous avons toujours défendues et revendiquées avec orgueil dans notre Histoire. Notre vie durant, nous avons été des gens simples mais entreprenants, avec un grand coeur ouvert à la vérité des sentiments, sans hypocrisie et dessus des étiquettes
Alors tant pis si l’on ne nous comprend pas et si l’on réveille les mauvaises pensées de ceux qui nous considèrent comme des aigris ou des frustrés et soyons vigilants car les héritiers de ces liquidateurs se réclamant encore et toujours d’eux , sont là , bien présents . Ils osent même solliciter encore nos suffrages avec des promesses du genre “ demain, on rasera gratis “ , qui dégagent des relents de politique politicienne bassement électorale...Serions-nous naïfs et amnésiques à ce point ?

CHAPITRE SIX


Mon service militaire, ou prologue à la guerre d’Algérie.

(de 1953 à 1955)

Malgré la distance qui nous séparait et peut-être à cause d’elle ,nos sentiments devenaient chaque jour de plus en plus forts, confortés de jour en jour par nos lettres quotidiennes ,dont nous ne nous lassions pas. Notre idylle platonique se déroula de près ou de loin ,comme tous les amoureux du monde à vingt ans, mais plus le temps passait et plus nous nous sentions faits l’un pour l’autre et nos retrouvailles bisannuelles nous plongeaient dans une félicité absolue, qui s’assombrissait hélas quand arrivait l’heure de se separer.

Un beau jour, je fus convoqué au bureau militaire de recrutement afin de passer mon conseil de révision en vue d’une prochaine incorporation dans l’armée pour accomplir mon service militaire, dans l’année qui venait.

La perspective d’effectuer dix-huit mois de service militaire ,Dieu savait où, et d’être séparé de ma fiancée ,ne me convenait absolument pas.

J’imaginais alors de devancer mon appel de quelques mois ,ce qui aurait pour moi, ou du moins je le croyais ,l’avantage de choisir mon corps et surtout ma ville de garnison.

M’étant renseigné, le devancement d’appel était possible ,à condition de signer un contrat de deux ans au lieu des dix-huit mois de la durée légale, mais les choix du corps et du lieu étaient possibles.

Agé de moins de vingt ans à cette époque ,et donc mineur je souscrivais avec l’ accord de mes parents un contrat de deux ans ,pour le 41° Régiment de transmissions à Casablanca.

Je recevais deux mois plus tard ,ma feuille de départ pour le 41° RT, mais à Fes, au lieu de Casablanca demandé .Je trouvais la pilule plutôt amère, mais n’ayant plus d’autre choix que celui de partir ,c’est donc à Fes, que quelques jours après, j’étais incorporé.

Quand on est un bleu, et pied-noir (c’est là où j’ entendis ce mot pour la première fois et j’en fus assez vexé d’ailleurs), les premiers jours sont durs à supporter et on est l’objet de petites tracasseries tant par les sous-officiers pour des corvées dont on n’a pas alors la moindre idée si ce n’est par les “anciens” qui se font un malin plaisir de bizuter les nouveaux arrivés comme moi, lors des festivités du Père Cent (100 jours avant la quille) par exemple..

Le problème pour ces derniers, c’est que je connais les règles et les ficelles de la boxe avec quelques rudiments de bagarres de rues que j’ai retenu parfois à mes dépens , et bon nombre d’entre eux se trouvaient passablement choqués lorsqu’ils tombaient sur des gaillards capables de se défendre .On avait droit au respect général ensuite.

Dés notre arrivée en caserne ,nous devons subir cette horreur de vaccination appelée T.A.B.D.T, qui nous immobilise, sur notre lit de camp, dans des souffrances indicibles. Cette série de quatre piqûres nous est administrée le vendredi matin et nous restons consignés sanitaires jusqu’au lundi, le plaisir étant renouvelé tous les 15 jours.

Ayant remarqué que tous les vendredi soir ,la caserne se vidait de ses occupants , on ne voyait personne jusqu’au lundi matin.

Je m’aperçus avec quelle facilité les permissionnaires franchissaient le poste de garde au départ et à l’arrivée et à cette époque de paix relative. Pratiquement personne n’était contrôlé d’une manière approfondie et les appels du soir ,en fin de semaine, étaient moins rigoureux ,bien souvent un simple coup d’oeil suffisant au caporal de semaine pour s’assurer que tout allait bien dans la chambrée.

Lors d’une corvée au bureau de l’instruction ,je me procurais un titre de permission tamponné et me fabriquais une fausse autorisation pour la semaine d’après.

Le vendredi matin, jour de mon départ programmé pour Casablanca, on m’injecta le deuxième vaccin .On m’avait assuré que celui-là était parfaitement supportable.

Effectivement, vers 17 heures, me sentant en pleine forme, et excité à l’idée de ce que j’allais faire, je me mêlais à un groupe de permissionnaires et franchis sans encombre, le poste de garde.

On se dirigea en groupe vers la gare où chacun prit son train qui l’intéressait.

Le mien se rendait à Casablanca et , contrairement à ce que l’on m’avait affirmé , je fus ,pendant le voyage, saisi de frissons probablement dûs à une réaction inattendue de ce vaccin. . J’arrivais trés mal en point à destination.

Je pris un taxi et me fit conduire chez ma fiancée qui ne m’attendait pas. Sa joie de me revoir, fût tempérée par son inquiétude et son angoisse de me voir dans cet état. Ses parents arrivèrent et après m’être fait sermonner par mon futur beau-père ,pour les risques que j’avais pris ,on s’occupa de moi et on me prodigua des soins qui firent baisser ma fièvre ,avec de l’aspirine et une poche à glace .Bref, je me sentis beaucoup mieux et réussis à profiter de cette permission de trente-six heures que je m’étais octroyée.

J’avais bien fait de le faire . La suite des événements allait le démontrer. Le Dimanche soir je reprenais le train du retour à Fes ,et je rejoignais ma caserne sans encombres, mon absence étant passée totalement inaperçue.

Je fus affecté dans un stage où l’on nous affirma que les meilleurs pourraient être affectés à Casablanca ou Rabat .Cette perspective me combla de joie ,et bien entendu, je me donnais à fond au suivi de ce stage.

Je me classais deuxième ,et on nous annonça qu’au vu des excellentes notes que nous avions obtenu ,nous serions envoyés à l’Ecole Militaire Annexe des Transmissions (EMAT/ AFN) ,à Ben Aknoun.....dpt d’Alger! Je me sentis blousé, catastrophé ,furieux de m’être fait avoir de cette façon et malgré mes réclamations auprès de mes supérieurs, rien n’y fit ,je faisais partie des dix meilleurs du stage et à ce titre nous étions qualifiés pour l’EMAT/AFN. On nous mit ,mes camarades et moi, dans un train en partance pour Alger , direction totalement opposée à mon bût initial et ville distante de 1500 kilomètres de Casablanca,

Si l’armée avait tenu ses engagements à mon égard et respecté le contrat que nous avions signé ,je serais probablement devenu un bon sous-officier comme mes autres copains du groupe, mais j’étais tellement écoeuré que je décidais de ne plus rien faire et de me laisser aller. Je garde de cette période un mauvais souvenir .C’est probablement l’envers de la médaille, car livrée au pouvoir dont disposaient certains gradés , elle torpillait à cette époque le recrutement de gens valables qui auraient pû etre attirés par le métier des armes. Mais Dieu merci, elle renfermait aussi d’ autres gradés fabuleux qui faisaient oublier les précédents.

Arrivé à Ben- Aknoun près d’Alger avec le moral en berne je finis par admettre qu’il me faut tenir le choc et qu’il me faut composer avec ma nouvelle situation , après tout Alger est une grande ville avec une gare desservant toutes les directions et Casablanca n’était jamais qu’à 17 heures de train .Je fus affecté à un peloton d’élèves sous-officiers et comme pour me donner le coup de grâce j’apprends le lendemain que nous ne sommes qu’en transit et que notre vraie destination était .une petite ville de garnison située à 180 kms au sud d’Alger appelé Aumale sur la route de Bou-Saada à la lisière du Sahara.

Ce fût le coup de grace pour moi et la fin de toutes mes bonnes résolutions.Je décidais de voir venir et de subir mon temps d’armée .Je n’accordais aucune attention aux cours de “lecture au son” et autres techniques militaires et je crois qu’aucun sergent-instructeur n’eût à affronter un tel sujet aussi décontracté et aussi peu passionné par la discipline militaire; mes seuls centres d’intérêt étaient le sport , le tir et le temps passé à lire et rédiger mon courrier journalier.

Le peloton terminé ,je me retrouvais 2° classe bien entendu et compte tenu de ma formation civile je fus quand même affecté au bureau de l’instruction comme dessinateur d’abord, comme aide-comptable ensuite, chargé des analyses caloriques des menus et de la paye des hommes de troupe.

Ce fût à cette époque que mes parents me donnèrent un petit frère,prénommé Guy,qui arriva d’une façon inopinée dans notre éxistence. Je l’accueillis avec joie malgré les 20 ans qui nous séparaient.Je devais bien des années plus tard et dans un environnement différent le recevoir au sein de ma propre famille et m’occuper de lui comme l’un de mes enfants.

Pour en revenir au service militaire ,je faisais contre mauvaise fortune bon coeur, j’accomplissais mon travail plutôt pour tuer le temps que par devoir, attendant la quille avec impatience.

Mais il y avait aussi quelques rares bons moments;J’avais de temps à autre, de courtes permissions qui me permettaient de me rendre chez mes parents à Bel-Abbès. En général elles duraient 36 heures, plus le délai de route et là je me plongeais dans les délices de la vie civile en n’oubliant pas toutefois de téléphoner à Casablanca à ma fiancée.

Je mettais bien à profit ces rares instants de liberté et avec mes copains on faisait des javas mémorables.

Bien sûr je me gardais bien d’en parler à qui vous savez, mais ”avec le temps tout s’en va et tout s’efface” comme le chantait Léo Ferre et puis on peut dire qu’il y a prescription maintenant , depuis cette époque.

Mais je bénéficiais aussi de permissions de détente de 15 jours tous les six mois et c’est avec ma fiancée ,que je les passais à Casablanca.


Les jours s’écoulaient lentement quand subitement le mardi 2 Novembre 1954 nous apprenions par les journaux qu’une série d’attentats avait été perpétrée la veille de la Toussaint et à la même heure en divers points du pays faisant huit victimes dont deux jeunes instituteurs (seule la jeune femme survecût) lors de l’attaque d’un autobus assurant la liaison Biskra-Arris.

C’était un plan mûrement réfléchi mais qui devait suffisamment alerter l’opinion internationale pour que chacun comprenne que la guerre d’Algérie venait de commencer.

Ce fût le début des événements avec au petit bonheur la malchance ,leur cortège de misère,de mort et de souffrances pour toutes les communautés . Dieu et Allah ,nous laissaient livrés à nous mêmes.

Aprés mes deux années contractuelles,je fus maintenu sous les drapeaux trois mois de plus et rendu enfin à la vie civile.

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CHAPITRE SEPT.



LA GUERRE D’ALGERIE.(1954 à 1962)


Ce retour à la vie civile fut bref et ne dura pas trés longtemps car quelques mois après,les événements empirant , nous sommes rappelés en même temps que certaines classes de métropole et versés dans des Compagnies Rurales pour ratisser les djebels à la recherche de Moudjahidine pas encore très nombreux.

Avec des gars de chez moi et des environs de notre département,nous sommes versés dans une Unité d’intervention et envoyés non loin de la frontiere marocaine,à Nemours joli port de pêche de l’ouest oranais.

Notre mission principale consiste en la protection 24 heures sur 24 d’une grosse carrière de la région. C’est là que nous avons eu à déplorer notre premiere perte.

En effet l’un de nos camarades de notre compagnie, originaire de Mercier-Lacombe est enlevé dans des circonstances qui ,avec le temps m’échappent un peu et n’est retrouvé que quelques jours plus tard , égorgé et pendu à la branche d’un figuier.

Une opération de ratissage est aussitôt montée mais bien évidemment ,l’ennemi avait quitté les lieux depuis longtemps.

Ce premier contact avec la mort nous rend particulierement nerveux,suspicieux et vigilants . Le danger est là et nous entoure et notre moral est ébranlé. Nous savons maintenant que nous affrontons un ennemi , invisible et insaisissable et l’avenir nous confirmera ce que nous pensons tous de cette guerre.

Nous ne restons que trois mois environ à Nemours et nous ne sommes pas fachés de quitter cet endroit devenu sinistre pour nous, pour nous diriger non loin de là, à Beni-Saf, autre port de pêche et haut lieu de villégiature bien connu de l’Algérie heureuse.

Là, au boût de quatre mois de crapahutage, je suis affecté à Tlemcen, comme secrétaire du medecin-chef opérationnel de l’hôpital militaire.

Cette guerre, larvée et sournoise, pudiquement appelée “Opération de maintien de l’ordre” et qui ne veut pas avouer son nom, existe bel et bien et nous devons affronter un ennemi souvent invisible mais que nous croisons chaque jour au sein même de nos unités; en disant cela je me réfère au massacre de Sebabna, près de Tlemcen où dans la nuit des appelés musulmans sous la conduite d’un caporal-chef nommé Soudani,égorgèrent leurs camarades de chambrée Européens et s’enfuirent avec armes et bagages rejoindre les rangs Moudjahidine à Oujda (ville frontière entre l’Algérie et le Maroc), distante d’une quinzaine de kilometres.

Il y eut bien une opération de ratissage montée dans les heures qui suivirent, mais il était trop tard et elle s’avéra négative.

Dans l’aprés-midi du jour suivant, les malheureuses victimes furent dirigées vers la morgue de l’hôpital militaire et ce soir-là , j’étais de permanence au secrétariat.

Il était dix-neuf heures quand nous fûmes prevenus par radio de l’arrivée imminente du GMC transportant les dépouilles ,et chargé d’ effectuer les formalités inhérentes à leur accueil..

Il y en avait six en tout, et l’estomac au bord des lèvres, j’aidais les infirmiers à descendre mes infortunés camarades et à les deposer sur des tables en ciment destinées à cet effet.

Quelle ne fût pas ma stupeur catastrophée de reconnaître parmi eux, un ancien camarade du lycée “De Sonis” , André Picard originaire d’Oran comme presque toutes les autres victimes , que j’avais perdu de vue depuis quelques années ; je le retrouvais là, gisant inerte et ensanglanté devant moi. Il portait une alliance à son auriculaire gauche. J’étais tellement ému que je ne fus pratiquement plus d’aucune utilité. C’était une circonstance affreuse pour moi et un drame horrible que je vivais en cet instant et je pensais à ses parents , à sa jeune veuve que je ne connaissais pas et aussi peut-être à ses enfants orphelins de père maintenant , imaginant quelle serait leur douleur en apprenant cette tragédie dont les journaux ne manqueraient pas d’en faire étât.

J’étais plein de rage impuissante à l’encontre de cette guerre qui ne reculait devant rien.Le plâtre des murs de ma chambre garda jusqu’à mon départ l’empreinte des phalanges de mes. poings


C’est pendant cette période de rappelé qu’au cours d’une permission exceptionnelle de dix jours accordée par mon Chef de bataillon , j’épousais ma fiancée le 6 février 1956 en la paroisse Saint Vincent à Sidi-Bel-Abbès.

Ce fût une belle fête et nos familles et tous nos amis étaient présents. Nos longues fiançailles se terminaient par un happy end qui fût la plus belle chose qui me soit arrivée dans ma vie. Fin 1956 et courant 1959 deux garçons prénommés Eugène et Pierre-Guy vinrent magnifier encore plus notre union .

Deux mois plus tard j’étais libéré et rendu à la vie civile mais avec affectation à une unité territoriale, dans ma ville où avec d’autres camarades nous étions chargés d’assurer des permanences hebdomadaires de garde et de surveillance des édifices publics, et cela dura encore cinq ans jusqu’à l’indépendance.

Le reste du temps nous vaquions à nos occupations professionnelles habituelles.

Ce climat d’insécurité permanente ,de crainte de l’attentat, de suspicion envers tout le monde, nous l’avons vécu jusqu’à l’exode en Juillet 1962.

Etait-ce une bonne chose d’avoir instauré une territoriale composée exclusivement d’Européèns ? On ne le saura jamais, peut-être était-ce voulu et prémédité mais c’est ainsi que la scission entre les communautés, commença.

Les drames éclaterent au grand jour. A la maison, nous avions deux soeurs Kheira et Barka dont l’ainée veillait sur mon jeune frère et la cadette sur mes deux enfants. Elles faisaient partie de la maisonnée et nous les traitions avec affection.

Nous n’avions pas été sans remarquer que d’habitude elles rentraient chez elles les mains vides et là subitement elles glanaient ce qu’elles pouvaient mais nous pensions qu’elles portaient tout ça à leurs parents agés, car elles habitaient à deux kilometres de chez nous aprés le court de tennis de la ville.

Un aprés-midi, nous fumes alertés par des détonations et des rafales pas trés éloignées et sur le moment nous n’y pretames aucune attention, car ces situations devenaient monnaie courante, hélas!

Kheira et Barka se concertèrent , pales comme la mort, et sous nos yeux ahuris, elles nous prévinrent qu’elles s’absentaient car quelque chose se passait du côté de chez elles.

Curieux, nous les suivimes de loin et nous vimes qu’elles venaient de se faire bloquer par un barrage militaire filtrant qui interdisait l’accés à leur maison qui se trouvait sous les feux croisés des assaillants et des assiégés.

De loin , nous les vimes monter à bord d’un camion militaire qui les emmena vers une destination inconnue.

Sur le moment nous avions un grand point d’interrogation dans la tête.

Le soir presqu’à l’heure du diner, une voiture s’arrêta devant la maison et en descendirent deux personnes qui se présentèrent à nous comme faisant partie des services de police ou de renseignements. Ils nous interrogèrent tous sur les deux soeurs , et notre réponse était toujours la même , nous n’avions rien à leur reprocher;

En fait ce qui s’était passé, etait qu’un groupe FLN s’était installé de force dans leur mechta depuis quelques jours et avait toute la famille en otage, les obligeant à les ravitailler et Dieu sait quoi!

Nous comprenions mieux le sentiment de panique qui les avait envahi en entendant les coups de feu, car elles devaient se demander quel était le sort de leurs parents dans tout cela.

Elles avaient été emmenées dans un camp d’internement, non loin de Bel Abbès et un officiel nous demanda si nous acceptions de les reprendre sous notre responsabilité. Bien entendu, nous acceptâmes et les vimes revenir dés le lendemain.

On ne peut pas dire que notre attitude fût bien comprise des amis et connaissances, mais de cela mes parents et moi-même n’en avions cure et nous agissions en fonction de notre instinct et de l’affection que nous leur portions et qui nous liait depuis des années.

Elles vecurent avec nous jusqu’à notre départ d’Algérie et c’est sous les pleurs que s’éffectua la séparation.

Nous n’avons plus eu de nouvelles de leur part.


En 1958 mes beaux parents quittèrent le Maroc pour nous rejoindre en Algérie et pour la énieme fois de leur existence remontèrent un salon de coiffure à Sidi-Bel-Abbès,en espérant que cette fois serait la bonne.

A partir de cette période, les affaires en général, commencèrent à se dégrader.

L’ économie se ressentait de cette crise dans laquelle se débattaient les différentes communautés et la peur de l’autre commença sournoisement à s’installer.

Pour assurer la survie de notre entreprise et de son personnel mon père, homme courageux s’il en était, un peu aussi influencé par moi, se mit à prendre des chantiers dangereux mais lucratifs ( personne n’en voulait , parcequ’implantés en zones d’insécurité) ,et pour leur réalisation nous agissions sous protection militaire pendant nos déplacements et la durée des travaux.

C’est ainsi que dans ces conditions difficiles, nous construisions les S.A.S de El-Gor, non loin de Bedeau et de Sidi Chaïb , prés du Télagh; ainsi que des casernes de gendarmerie de Baudens et sur la frontière Algero-Marocaine le long de la ligne Morice, à Sidi Medjahed, El Aricha, et dans le sud à Beni Ounif en face de Figuig et à Kenadza .

Ces deux derniers chantiers se situaient dans les environs de la ville de Colomb-Bechar, elle-même distante de 600 kms de Sidi-Bel-Abbès.

Ayant reçu l’ordre de démarrer les travaux dans les plus brefs délais et le temps imparti nous etant compté, nous faisons le déplacement pour lancer l’organisation des deux chantiers.

Le seul mode de locomotion est l’avion qui assure hebdomadairement la liaison à partir d’Oran vers Bechar . Accompagné de mon excellent ami et métreur, Dodo Benhamou, nous embarquons à bord d’ un DC3 au départ de La Senia.

La première journée se passe à visiter le site de Kenadza situé à 25 kms de Béchar et à prendre contact avec les autorités civiles et militaires avec lesquelles nous aurons à compter sous peu.

En temps normal , on ne peut se rendre sur ces différents sites de Beni-Ounif ou Kenadza, que par le route et à certaines heures seulement et en se glissant dans un convoi militaire , la route est incertaine du fait des bandes de Moudjahidine qui rodent dans la région.

Ne disposant pas de beaucoup de temps et Beni-Ounif étant distant de 200 kms environ de Béchar , nous sommes obligés de recourir aux services d’un aero-club qui met à notre disposition un biplan “ De Haviland “ datant probablement de Guynemer.

Son pilote, une célèbre figure locale, etait le curé de la ville : le Père Harmel .

Nous n’en menions pas large en découvrant l’engin sur lequel nous allions voler.Mais son pilote qui le bichonnait amoureusement , nous rassura par son flegme et par son calme. Blancs comme linges, nous nous installâmes dans le cokpit, moi à la droite du pilote, Dodo juste derrière lui.

Nous decollâmes et au boût d’une heure et quarante minutes de vol, nous arrivâmes en vue d’une piste éxécutée au bulldozer, en plein champ par les militaires, pour permettre aux petits avions de se poser.

Occupés à regarder le paysage désertique qui défilait sous nos yeux, et assourdis par le bruit du moteur, nous n’avions pas entendu la conversation - radio du Père Harmel avec le sol.

Aussi avant d’amorcer sa descente,le pilote survola à deux ou trois reprises le terrain, pendant que des militaires s’activaient à Dieu sait quoi ,au sol sur notre tracé d’attérrissage.

Ayant atterri, nous eûmes le fin mot du temps passé à survoler le terrain et de la présence des militaires. En effet, ces derniers ne nous avaient autorisés à atterrir qu’aprés avoir été prévenus de notre arrivée par radio par notre pilote et aprés avoir passé la poële à frire sur le parcours de l’avion pour déceler des mines éventuelles posées dans la nuit par les Moudjahidine venus de Figuig, situé en face de l’autre côté de la ligne électrifiée,à moins de 5 kms.

L’ami Dodo et moi, n’étions pas trés fiers , c’est le moins qu’on puisse dire et aprés avoir accompli notre travail d’implantation du chantier et avoir recruté une main d’oeuvre provisoire, nous reprenions notre coucou vers Béchar , soulagés de rentrer à l’hôtel où nous attendait un bon bain, car dés le lendemain nous devions reprendre notre voyage de retour vers notre domicile.

Malgré tous ces problêmes ,les deux chantiers se déroulèrent au mieux et les travaux se déroulèrent sous la protection de l’armée et certaines nuits, sous les tirs croisés entre les Moudjahidine d’en face (Figuig) et la riposte de nos militaires (Beni Ounif).

Notre premier soin sur ces chantiers,avait été de construire à vitesse accélérée,les sous-sol, protégés par une dalle en béton de 20 centimetres d’épaisseur. Dans ces locaux en dur, nous avions installé notre popote de chantier et nos lits picots.


Mon père

La proximité de l’armée chargé de veiller sur notre sécurité était pour nous un gage de tranquilité.

Parallèlement à cela, nous construisions aussi des bordjs pour les S.A.S, en pleine zone interdite telles que El Gor,Sidi Chaïb...etc.Et à chaque instant,on risquait sa vie.

Ci-aprés, une autre péripétie significative du climat d’insécurité permanente, dans lequel nous évoluions

Un Samedi aprés-midi d’été comme toutes les fins de semaine, sous une chaleur torride, avec cinq ouvriers à mon bord, je rentrais au volant de ma ford-vedette vers Sidi-Bel-Abbés en provenance d’El Aricha où nous construisions une caserne de gendarmerie.

Tout-à-coup, lors de la traversée de la forêt de Bossuet, au bas d’une longue descente et à deux cent mètres environ, nous aperçumes un groupe de militaires en treillis et chapeau de brousse qui avaient organisé un barrage. Nos conversations céssèrent comme par enchantement et un silence de plomb, troublé par le seul chant des cigales,s’installa entre nous. La peur et l’angoisse nous étreignirent la gorge, car tout nous laissait supposer que nous avions affaire à un groupe de Moudjahidine, nombreux dans la région, et qui tous, portaient cette tenue camouflée.

La distance qui nous séparait d’eux était trop courte pour tenter une manoeuvre de demi-tour sur cette route étroite et il n’y avait aucun autre échappatoire.

Le temps de la reflexion nous étant compté et la panique nous gagnant rapidement.Je pris alors une décision dans un sursaut d’inconscience totale, j’accélérais à mort et fonçais pendant qu’en même temps je sortais de mon caisson une grenade que je
m’appretais à dégoupiller et à balancer au passage, en tentant de forcer le barrage et en me disant que perdu pour perdu autant en emporter quelques-uns avec nous.

En un flash , je réalisais mon erreur en reconnaissant au sol la herse extensible utilisée par les forces de l’ordre. C’étaient des gendarmes de la brigade du Telagh que je voyais pour la première fois dans cet accoutrement. Je pilais sur mes freins car ils s’apprêtaient à nous allumer et réussissais à stopper à peu prés à leur hauteur.

Ils comprirent que nous nous étions mépris et leur chef , pas content du tout, se dirigea vers nous. Arrivé devant la voiture, il se pencha vers moi et commença à nous houspiller en nous assurant que nous l’avions échappé belle ,ce dont nous ne doutions pas un instant, même si en mon for intérieur je pensais qu’ eux aussi l’avaient échappé belle.
Inutile de vous dire notre soulagement et notre joie de pouvoir nous faire engueuler...”vivants” . Je répondis que leurs tenues étaient la cause de notre méprise ; il me dit alors, qu’il ne faisait qu’obéir aux instructions de l’Etat-Major qui pour lutter contre les Moudjahidine adoptait leur stratégie en faisant ce qu’on appellait à l’époque “de la guerre psychologique“
Nous discutames un moment et apprenant que nous étions constructeurs de casernes rurales de gendarmerie, un climat de bonne humeur succéda à l’engueulade et s’installa entre nous..Nous nous quittames bons copains et en revenant plus tard vers le chantier, je m’arrêtais à la brigade pour leur remettre une caisse de Mascara ( vin réputé de nos vignobles régionaux)

L’ anecdote ci-dessus témoigne du climat de suspicion,et d’incertitude dans lequel se déroulait notre vie de chaque jour ces années-là.


Epoque encore heureuse avec nos amis de toujours (Giselle et Fernand)

 

Arriva le 13 Mai 1958 et l’époque des promesses d’une Algérie Française , fraternelle et prospère. Promesses faites par Charles De Gaulle, que nous avions aidé à mettre en place, pour nous inciter par son porte-voix dans le cadre du fameux plan de Constantine à investir à outrance en Algérie car elle resterait “Française de Dunkerque à Tamanrasset jusqu’à la fin des temps” Nous n’avions aucune raison de douter de sa parole et de son “je vous ai compris “ sur la place du Forum d’ Alger et.... nous avions tellement envie de croire en ses déclarations qui nous paraissait sincères , avec ces trémolos dans la voix. Trémolos qui n’ étaient en fait que les signes précurseurs de sa haine envers ces Pieds-Noirs qui avaient eu l’audace de mettre en doute son action en 1941. Pauvres naïfs que nous étions de prendre pour parole d’évangile ses discours aussi démagogiques et fallacieux que ceux d’un camelot marchand d’élixirs à l’époque du Far-West . Mais eux, on pouvait les lyncher.
Quelle escroquerie ! Et comment avons nous pu être crédules et naïfs à ce point ?
On aurait dû se rappeler que parfois avec nos prétendus défenseurs ou amis, nous n’avons surtout pas besoin d’ennemis.

Certains, à la désapprobation générale mais comme on le verra par la suite à juste titre, peu convaincus des promesses gouvernementales s’empressèrent de mettre leurs avoirs en lieu sûr, et d’autres (la grande majorité) comme mon père, avec l’aide de l’état et l’appui de ses banques investit son argent gagné dangereusement (à la roulette de la vie) ,en l’achat de terrains et en la construction d’immeubles en co-propriété tels le Trianon, le Lido, le Paris (Gros-oeuvre achevé à 100% lors de notre repli en France)car en vertu de ce fameux plan de Constantine, la population européènne et algérienne avait repris confiance et l’essor factice fût spectaculaire,on ne trouvait plus un seul logement à acheter.
Epoque encore heureuse avec nos amis de toujours (Giselle et Fernand)
On se lança à corps perdu en la construction d’immeubles en co-propriété tels le Bel Horizon,le Lido,Le trianon,le Paris(plusieurs dizaines de logements de standing) et nous construisîmes même la célèbre “Maison de retraite des Anciens légionnaires”, au sein de la cité Bellat et inaugurée d’ailleurs par ce dernier, laquelle était un magnifique monument dû aux talents conjugués de MMrs Benkemoun,architecte ,et Keller,Ingénieur de structures béton, lesquels étaient mes anciens Maîtres, qui comme je l’ai déja dit, m’avaient transmis un peu de leursavoir-faire.
Après mon mariage et pendant que la guerre d'Algérie battait son plein , je devais reprendre des études de technicien du bâtiment auprès de la Fédération du Bâtiment et des Travaux Publics . Ces cours avaient lieu à Oran ,le samedi toute la journée et ce jour-là ,malgré l’insécurité qui régnait sur les routes , nous accomplissions le trajet dans les deux sens pour suivre nos cours et le soir venu , nous emportions du travail à faire chez soi, pour toute la semaine.
Immeubles“Bel Horizon” et “Lido”
Construits par notre entreprise dans le cadre du plan de Constantine.
Mon objectif était d'acquérir une formation complète de Technicien du bâtiment et des TP. J'étais hyper motivé car je prévoyais que cette qualification me serait nécessaire pour m’ouvrir certaines portes dans un avenir proche que j'appréhendais un peu tout en le pressentant , ignorant encore de ce qui allait se passer.
Au terme de trois années d' études assez poussées , j' obtenais un diplôme de "Commis d'entreprise " lequel comme je devais m'en rendre compte quelques années plus tard , s'avéra pour moi d'une importance capitale.

Je ne veux pas reprendre l’histoire de la guerre d’Algérie chacun a pu la lire à travers des revues spécialisées peu objectives certes car autrement elles auraient été interdites de parution par la censure ,mais suffisamment documentées pour en dresser les grandes lignes.

Dés Juin 1961 les événements s’accélérèrent brutalement les; les accords d’Evian furent signés début 1962 et seulement à ce moment ,on commença à comprendre que c’était la fin. La vie économique s’arrêta brutalement et commença l’exode vers la France des européèns et des musulmans fidèles qui avaient eu le tort de croire en la parole des bradeurs qui nous gouvernaient.

 

Dés Avril 62 sur ordre du gouvernement qui avait pactisé avec les Moudjahidine au travers des dits accords d’Evian que les Français d’Algérie n’ont jamais voté , l’armée changea d’ennemi et s’attaqua à l’OAS, et à ses sympathisants autrement dit à 70% des Pieds-Noirs. Leur offensive n’avait plus lieu dans les djebels mais en ville et chez l’habitant.

Ce ne fût pas facile, la majorité des militaires acceptant cet ordre du bout des lèvres.
Les partisans de l’abandon pour parvenir à leurs fins durent créer des unités spéciales formées de repris de justice (auxquels on promettait une remise de peine et un salaire stimulant) ,encadrés par les “barbouzes du SAC “ téléguidés au sommet par le sbire de service aux ordres gaulliens le général Katz, commandant la place d’Oran lors des massacres du 5 Juillet 1962. Ce dernier est mort recemment de vieillesse dans son lit. Peut-être a-t-il trouvé une place de choix aux côtés de son mentor sur le barbecue de satan..



Ma petite famille en 1960

 


Le Lido...

 


...et le marché de gros

 



CHAPITRE HUIT.


Le déracinement et l’éxode

Le 19 mars 1962, dâte honnie et infamante entre toutes, furent signés les dits accords d’Evian, négociés entre Charles De Gaulle et Ferhat Abbas, représentant le GPRA, lesquels ne furent jamais contresignés par le FLN et l’ALN et à fortiori pas honorés.
A partir de ce moment, on commença à admettre que nos jours dans ce pays étaient comptés.
La vie était devenue intenable.Les attentats par bombes, les représailles de tous les camps en présence, incitèrent bon nombre d’européèns, dès Janvier, à partir en France, pour des...vacances.
Renseignements pris, les uns... informés par certaines sphères gouvernementales de ce qui allait bientôt se passer , avaient bradé et liquidé la majorité de leurs biens à des Algériens opportunistes ou visionnaires .
Les autres s’étaient servi du pretexte des vacances pour tenter de refaire quelque chose dans un autre environnement pendant qu’il était encore temps.
Bien sûr ,au début, nous pensions que c’étaient des inquiets et des défaitistes qui baissaient les bras ,mais très vite, nous le devînmes tous et regrettâmes de ne pas avoir fait comme eux en temps voulu ,car maintenant, c’était trop tard et une toute autre histoire.

L’OAS commença par interdire à la population masculine de partir ,mais dés que ses chefs principaux furent arrêtés,on ne sût plus qui était qui et qui commandait encore, si toutefois il restait encore ...”un pilote dans l’avion “. Ce fût la débandade dans leurs propres rangs et le sauve-qui-peut général. Alors plus personne ne tint compte de cette interdiction, la fin prochaine de l’Algérie Française étant devenue pour tous ,une réalité.

Le 26 Mars 1962, la fusillade et le massacre de la rue d’Isly à Alger,sonna le glas de l’Algérie Française. Déguisés en soldats Français, et aidés par “la force locale “ mise en place par la France, des voyous tirérent sur une foule désarmée qui manifestait pacifiquement leur solidarité avec le quartier Européèn de Bab-El-Oued assiégé par l’armée.

A partir de là, ports et aéroports furent envahis par une marée humaine hétéroclite, anxieuse et apeurée, chargée de valises, de sacs ,de balluchons de linge ,dans l’attente d’un hypothétique embarquement .Les voitures étaient parquées n’importe où et n’importe comment ,fermées et abandonnées et les clés jetées le plus loin possible ou dans les égouts.Certains les incendiaient volontairement.

Pour canaliser ces départs, l’armée faisait de son mieux, car, en même temps ,elle devait nourrir et protéger des milliers de personnes en attente ,qui campaient n’importe comment pendant plusieurs jours avant d’embarquer à l’appel de leur nom.

Destinations ? Marseille, Port-Vendres ,Sète, Paris ,Toulouse ,l’Espagne, qu’importe ,pourvu qu’on puisse vite oublier la peur du FLN ,de l’OAS, des gardes mobiles ,des CRS ,qu’on puisse ne plus avoir l’angoisse ,le goût de cendre dans la bouche et sentir le spectre de la mort qui planait au dessus de chacun d’entre nous ,qu’importe pourvu qu’en atterrissant ou en accostant quelque part, n’importe où ,on oublie tout ça. Pourtant on savait que l’avenir qui nous attendait ,se présentait sous les plus sombres auspices et n’aurait rien de commun avec ce que nous avions connu ,mais au moins on sauverait notre peau , nos enfants et notre famille seraient à l’abri ,et après à Dieu va et Inch Allah....! (pour les non initiés, c’était notre manière à nous aussi de conjurer le mauvais sort).

Une noria d’avions civils et militaires ,de bateaux, d’embarcations et de vieux chalutiers, fût organisée pour faire face à ce déplacement de masses.

C’etait démentiel! Les autorités ,étaient débordées .Personne n’avait prévu un raz-de-marée d’une telle ampleur.

Six ou sept mille personnes quittaient journellement le sol de ce qui allait devenir, dès le 5 Juillet 1962 ,le tombeau de l’Algérie Française, et celui de bon nombre de malheureux, qui n’avaient pu trouver de places pour rentrer en France avant .Si le “petit lac” à Oran pouvait parler, il nous dirait ce que sont devenues les milliers de personnes disparues..On ne pourra jamais pardonner et absoudre les assassins et les responsables de ce génocide qui reconnaissent de nos jours ceux qui ne les concernent pas, en oubliant de balayer devant leur porte. Mais un jour ils auront tous des comptes à rendre à l’Histoire et surtout à Dieu.

Vers la fin de 1961, un ministère aux rapatriés avait été créé ,pour faire face au grand maximum à 200.000 ou 300.000 réfugiés ,car nos gouvernants pensaient que seulement une faible proportion d ’ européens ,quitterait le pays.

Une fois de plus, ces éminents statisticiens s’étaient bien fourvoyés et c’est à plus d’un million de personnes qu’ils eurent a faire face en un laps de temps réduit, car “ les cris de haine étant les derniers mots d’amour “ comme le chante si bien le grand Charles (lui ) Aznavour , les Pieds Noirs,(dans leur majorité ) les avaient poussés en fuyant vite le pays qui les avait vu naître et qu’ils avaient passionnément aimé, sans un regard derrière eux, sauf pour s’assurer qu’on ne venait pas les poignarder... une nouvelle fois dans le dos ...!

Pendant ce temps les banques durcissaient leur position ,le commerce s’effondrait les notaires ne passaient plus un seul acte d’acquisition ou de vente, les effets de commerce n’étaient plus honorés, plus personne n’acceptait de chèques,. C’était l’époque du n’importe quoi, du chacun pour soi, du sauve qui peut et du cours vite et advienne que pourra !
.
Avec mon père, on essaya bien de réunir le peu d’argent liquide dont nous disposions (reliquat de la dernière paye du personnel) ,notre actif se composant essentiellement de biens immobiliers, d’un matériel très important et d’effets de commerce sur clients ,pour des montants impressionnants mais qui n’avaient pour valeur que leur seule valeur comptable. Et nous n’avions plus le temps de vendre, même à vil prix, quoi que ce soit à n’importe qui .Il fallait se rendre à l’évidence .C’ETAIT LA FIN !

Nous primes à notre tour la pénible décision de tout plaquer et de partir comme tout le monde.

Le 2 Juin ,ma mère, mon jeune frère et ma cousine Marie-Lise, réussirent à monter à bord d’une caravelle et atterrirent à Marseille ,où ils furent accueillis par des parents arrivés avant eux et domiciliés à Ceyreste (BdR).

Mon père, les rejoignit quelques jours plus tard, en ayant la chance d’embarquer avec sa voiture depuis Oran et de là, aprés les avoir récupérés , partit vers l’Espagne où il avait envisagé un moment de s’établir.

Je ne sais plus comment le reste de mon imposante famille quitta l’Algérie, mais ce que je sais ,c’est que tous mes oncles et cousins se retrouvèrent disséminés aux quatre coins de France, les uns du côte de Pau , les autres entre Nice, Lyon, Béziers, Chartres. Il nous fallût des mois pour avoir des nouvelles les uns des autres, et des années pour nous rencontrer.. .et parfois seulement ,hélas à l’occasion des funérailles familiales.

Pour ma part, le 8 Juin, j’avais accompagné mon épouse, mes deux garçons et ma belle-mère à Oran, où avec beaucoup de chance, je réussis à les faire embarquer sur un bateau en partance pour Alicante , sous le regard inquisiteur, suspicieux et ironique de gardes mobiles jubilatoires et vindicatifs , lesquels jusqu’au dernier moment se montrèrent parfaitement odieux envers nous, nous interdisant ,par exemple, d’accompagner notre famille sur le pont du navire, et de les aider à monter leurs bagages ,laissant les femmes et les personnes âgées se débrouiller à les porter comme elles pouvaient ,sans personne pour s’en inquiéter.

Imaginez dans quelles conditions se déroulait la séparation pour ces mères surchargées de valises, les enfants accrochés à leurs basques, certaines obligées de courir derrière eux pour qu’ils ne s’égarent pas. Elles allaient partir sans pouvoir embrasser une dernière fois leurs époux restés sur le quai ,empêchés par le service d’ordre, le pistolet mitrailleur braqué sur leur ventre , et ignorantes du sort qui pouvait attendre ces derniers dans les jours à venir. Nous savions que ces gardes là, cherchaient à se venger comme ils pouvaient des déculottées mémorables que quelques uns d’entre eux , avaient subi de la part des partisans de l’Algérie Française.

Je restais seul et livré à moi-même sur le quai,au paroxysme du désarroi et la haine aux tripes , pendant que le bateau qui emmenait les miens ,s’éloignait du port.

Quand il ne fût plus qu’un point au loin, je me décidai la mort dans l’âme et le coeur au bord des larmes à reprendre la route vers Sidi- Bel- Abbès où je retrouvai mon beau père, dorénavant mon seul compagnon d’infortune, pour le temps qu’il nous restait encore à passer en Algérie.



CHAPITRE NEUF


Notre première étape: l’Espagne.


Vers le 27 juin, le coeur saignant, je fermais la maison familiale et les locaux de l’entreprise.

Avec mon beau-père et encore deux ouvriers fidèles dont Hamza ,nous avions fabriqué des conteneurs en bois pour tenter d’embarquer vers la France un maximum d’affaires indispensables selon moi à notre nouvelle vie.Ces conteneurs furent acheminés par la suite sur Arzew pour embarquement.

Le 29 Juin, je réussissais à quitter à mon tour le sol natal ,et le sort voulut que j’embarque également, par un heureux hasard , sur un bateau en partance pour Alicante, où au port, je retrouvai mon épouse et mes enfants, prévenus par télégramme de mon arrivée, par mon beau-père .

En Espagne ,mon épouse ,mes enfants et ma belle-mère ,avaient été recueillis et hébergés par la proche famille de mon beau-père ,à Alcoy ,petite ville située à 80 kilomètres d’Alicante.

Mais quelques jours avant mon arrivée en Espagne ils s’étaient rapprochés d’Alicante, en louant à San Juan, un petit appartement mitoyen de celui d’autres parents rapatriés, également d’Oran, quelques jours auparavant.

. Ce qui nous permit d’attendre dans des conditions correctes l’arrivée de mon beau-père.

Ce dernier ,dans l’espoir de sauver encore quelques maigres biens et malgré mon insistance ,avait préféré différer son départ de quelques jours, plutôt que de rentrer avec moi.

En effet ,il se débrouilla à fabriquer et remplir un cadre supplémentaire de vaisselle et de mobilier, qu’il regroupa avec les autres sur le quai d’ Arzew, dans l’attente de leur embarquement sur le cargo à destination de Sète.


NOTRE DAME DE FATIMA (Construite par mon père et moi-Notre dernier chantier à Sidi-Bel-Abbès/Place Beraguas au Mamelon en 1959-1960)
L’INAUGURATION EÛT LIEU LE 16.02.1961 (Doc.Parra)

Cette dernière mission accomplie et n’ayant plus de raisons de rester encore là bas, il réussit à embarquer... avec sa voiture et à son tour, nous rejoignit en Espagne.

Sa détermination et sa ténacité avait eu raison de tous les obstacles militaro-administratifs afin que sa voiture puisse l‘accompagner. Il est vrai qu’il était plus facile d’acheminer son véhicule vers l’Espagne que vers la France.

Grâce à lui ,nous avions les moyens de nous déplacer et psychologiquement parlant ,ce privilège revêtait à nos yeux une importance considérable. Ils n’étaient pas nos ennemis

à suivre...

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