LES RACINES DU SOLEIL
OU SOUVENIRS EXTRAORDINAIRES
D’UN PIED NOIR ORDINAIRE

P . L. Salas
Quelques bonnes feuilles...

LES RACINES DU SOLEIL

OU

SOUVENIRS EXTRAORDINAIRES
D’UN PIED NOIR ORDINAIRE

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Perpignan, le 31 Mai 2000.

PREFACE

Depuis notre départ d’Algérie, j’ai tenté d’étouffer mes souvenirs . Mais la vie est un cercle et aujourd’hui j’ai accompli une 67 eme révolution . J’avais enfoui tout çà au fond de ma mémoire, mais parfois les souvenirs remontent à la surface à l’improviste comme une éruption cutanée et il est temps d’en parler pour tenter d’exorciser ce passé et de le traiter comme une simple information, car tôt ou tard, il finit par nous rattraper. Alors, je vais essayer de remonter le courant jusqu’à la source en regardant dans le rétroviseur notre “ là-bas “

Je ne suis pas un professionnel de l’écriture et je m’aperçois qu’un livre est toujours difficile à commencer, car il faut en déterminer le bût afin d ‘en construire le fil directeur .

En général, il faut avoir une motivation intime nous poussant à écrire avec nos propres mots une page d’histoire. Le fait que l’auteur soit en même temps, l’un des acteurs avec son optique nécessairement partisane, n'enlèvera rien à l'intérêt de sa plaidoirie; on a toujours le droit de présenter sa propre argumentation devant une cour de justice quelconque, comme nos adversaires, ne serait-ce que pour faire entendre un son de cloche différent à l’intention de ceux qui n’en auraient écouté qu’un seul.

En ce jour anniversaire de mes soixante-sept ans , obéissant à mon impulsion je décide de faire revivre cette époque en l’écrivant avec mon coeur et en accord avec moi-même, de raconter l’histoire de gens ordinaires qui ont osé à un moment crucial de leur existence, prendre leur destin en mains avec courage et détermination ,depuis leur arrivée sur cette terre d’Algérie jusqu’à leur départ vers un “ailleurs “ où ils ont tout repris à zéro..
Peut-être seront-ils un exemple pour tous ceux qui, de nos jours, hésitent encore à prendre leur envol, semblables à ces oisillons immatures réclamant bruyamment de leur bec tendu , l’assistance d’un état “ providence” qui l’est de moins en moins.
Dans ce modeste récit, se reconnaîtront ma famille certes , certains de mes amis de toutes confessions mais aussi tous ces expatriés venus d’Afrique du Nord ou d’ailleurs qui ont vécu ces événements . Je souhaiterais aussi que les plus jeunes de nos enfants nés hors de notre terre, puissent découvrir ce qu’ils ignorent de cette période qu’ils n’apprennent à connaître qu’à travers le récit d’ historiens pas toujours objectifs, car il est bon parfois de régler leur compte à certains moralisateurs qui le cul sur leur fauteuil, et sans avoir jamais été concernés, s’érigent en censeurs et jugent d’une époque ou d'événements dont ils ignorent à peu prés tout.


Il est bon en même temps , de réveiller ces politiques de tous bords qui croient tels des “Ponce Pilate de l’histoire” pouvoir juger en se lavant les mains , en poussant des cris d’orfraie à la lecture de mémoires ou de récits sur une guerre qu’ils disent avoir pensé hypocritement propre, mais qu’ils connaissent intimement mieux qu’ils ne voudraient l’avouer. .

Il est bon aussi, de faire découvrir que si les Pieds-noirs dérangent , c’est parce qu’ils sont ce que beaucoup auraient rêvé d’être, sans jamais y arriver ou même l’oser.

Je ne sais pas non plus, si je rencontrerai un éditeur susceptible d'apprécier ma prose au style direct qui nous est familier, car on n’enferme pas la spontanéité qui nous caractérise , dans des termes académiques.

Je vais tenter de refaire le bilan d’un passé à travers une existence, la mienne que je connais le mieux parmi les autres, d'y remonter son cours le plus loin possible , de puiser dans quelques rares archives familiales sauvées par miracle et de creuser au plus profond justement de ces racines généalogiques enfoncées profondément par nos aïeux vers 1860, sur cette terre d'Algérie, afin de leur dire "post mortem" la peine que j’ai de les avoir laissé la-bas, le respect et la vénération que je leur porte et la reconnaissance que je leur dois.

A propos de ces racines, notre estimé écrivain Paul Bellat, Auteur d’une pièce de théâtre jouée au théâtre municipal de Sidi-Bel-Abbès en 1952 pour commémorer le centenaire de la Médaille Militaire , dans laquelle je tenais un petit rôle , me faisait dire une citation attribuée au Général De Bourmont lors de la prise d’Alger,( sous Louis-Philippe) : “.....L’empire est fait; ... il s’agit à présent de l’ancrer si solidement dans la terre Française, que jamais plus, rien ne puisse l’ébranler ........“. C’est sûr que tous ces vaillants soldats , héros d’un passé glorieux, ont dû se retourner dans leur tombe, lorsque le dernier bateau a quitté notre sol sacré avec sa cargaison de malheureux désespérés.

Afin qu'à leur tour ils n'oublient jamais d'où ils viennent et ce qu'ils sont, je dédie ce modeste récit à mes enfants et petits-enfants , à ma proche famille ,à tous mes amis vivants ou disparus , et à tous ces Rapatriés d’AFN ,(Pieds-noirs ou Harkis), et d’ailleurs.


* Créée par Napoléon III en 1852.



CHAPITRE PREMIER


Le bateau s’écartait du quai lentement et pivotait sur lui-même tiré par un remorqueur. Dans quelques instants l’El- Mansour quittera la darse , pointera sa proue vers le Nord-ouest et mettra le cap sur Alicante, l’un des points principaux de repli pour les Rapatriés d’Oranie.

Ce jour-là , 29 Juin 1962, depuis le pont à tribord, rivé au bastingage et entouré de compatriotes d’infortune en larmes et silencieux , j’ai regardé pour la dernière fois ma terre d’Algérie se confondre avec l’horizon jusqu’à former un angle aigu entre le ciel et la mer et disparaître de ma vue..

C’était la fin du chapitre essentiel d’un être humain arraché brutalement à son environnement, à ses souvenirs, à sa famille et à ses amis et son immersion brutale dans l’eau glacée de l’inconnu sans repères ni garde-fou avec apprentissage accéléré d’une épreuve inhumaine : survivre en exil forcé.

Depuis, le temps a accompli son oeuvre . Les sentiments exacerbés se sont émoussés . Chacun a retrouvé une sorte d’équilibre et de paix intérieure apportés par nos enfants et surtout par les petits “Patos” qu’ils nous ont donné.

Nos parents, pour la plupart ,minés par le chagrin, le désespoir et l’érosion des années, ne sont plus là . Ils reposent désormais en terre Française , Espagnole ou ailleurs mais des générations nouvelles ont suivi et ces nouvelles donnes font, que ce pays où nous vivons , et où maintenant nos parents sont enterrés, est aussi le notre, , et bien notre, oh combien ! Et plus jamais personne ne nous en fera partir.

J'ai traversé mon existence , (que je souhaite encore longue si Dieu m'accorde cette grâce) , en contournant des écueils ou en me brisant contre eux , mais en essayant de suivre un chemin , le plus linéaire possible en conformité avec mes convictions et mes croyances et en appliquant quelques règles élémentaires et de bon sens , à savoir : se dévouer aux siens , rester soi-même en toute circonstance ,respecter et apprécier les autres uniquement à leur juste valeur humaine
Pour ma part, mon existence ressemble à celle d’ un arbuste faisant partie d'une grande pépinière déracinée et transplantée dans un autre environnement où malgré leur courage, leur volonté et leur abnégation ,certains n'ont pu survivre et ont disparu , trop vieux pour reprendre racine et d'autres plus jeunes et plus robustes ont fait souche dans une terre pas toujours fertile ; ils se sont adaptés au climat et ont poussé malgré les éléments ligués contre eux . Ils produisent à leur tour d'autres ramifications qui prendront le relais.

Je n'ai ni la prétention ni la naïveté de penser que je suis un exemple à suivre, tant s'en faut! Je sais par expérience que personne ici-bas n'est détenteur de la vérité, que chacun est son libre arbitre et que notre existence est insignifiante et microscopique à l'échelle de l'univers et du temps .
Mais si, comme je l’espère , les miens appliquent quelques principes de base inculqués par nos anciens et puisent leur force intérieure dans l’esprit enthousiaste reçu de nos arrières grands-parents , leur propre mental aidant ,ils n'auront pas grand-chose à craindre de la vie et surmonteront pas mal d'obstacles.
Je souhaite aussi attiser le souvenir de ceux qui ont vécu ces événements pour qu’ils aident à faire connaître notre histoire à ceux qui seraient pressés d’oublier notre passé qui est pourtant un patrimoine sacré pour les valeurs qui s’en dégagent.

Un proverbe Espagnol affirme :"Que Dios apreta , pero no ahoga". Traduit littéralement , cela veut dire :"Que Dieu serre , mais n'étrangle pas". En certaines circonstances cette maxime s’applique à beaucoup de personnes croyantes ou athées . Dans tous les cas ,elle aurait pu très bien s'appliquer à moi .C’est vrai que bien souvent je me suis trouvé dans des situations difficiles tant du point de vue des affaires que du point de vue de la santé, mais je m’en suis toujours tiré par ma capacité à réagir et la soif de vie qui m’anime . J’ai quelquefois laissé des plumes mais j’ai souvent limité les dégâts .Et en ce jour , je me sens encore rempli d’une envie d’entreprendre ou de reprendre des projets endormis et de les sortir du placard où je les avais enfouis pour essayer cette fois, armé de l’expérience de mes erreurs passées , de les mener à bon terme.
Pour ce faire et depuis quelque temps je me suis même initié à l’informatique afin de disposer des mêmes armes que les hommes d’action d’aujourd’hui. Quel merveilleux challenge que de faire table rase du passé et de repartir en s’actualisant aux nouvelles techniques tellement incontournables pour vivre notre époque. Et quand l’heure de tirer ma révérence sonnera , j’aurais le sentiment d’avoir bien rempli ma vie et lutté jusqu’au bout pour ne pas tout perdre encore une fois !
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CHAPITRE DEUX.


La prise d'Alger (1830) - D'après une estampe de l'époque

 

Quelques rappels d'histoire et de géographie.


Avant l’affaire du Dey d’Alger et de son coup d’éventail à notre ambassadeur prétexte du débarquement de nos soldats le 14 Juin 1830 à Sidi Ferruch, Il était un saint ermite, Sidi- Bel- Abbès ,vénéré et respecté de tous auquel la légende attribuait entre autres pouvoirs, celui de guérir .

Après sa mort, un mausolée fût dressé à sa mémoire et devint le point central d’un cimetière dont les sépultures s’étalèrent autour au cours des décennies qui suivirent .On l’ appela “le Marabout ”. Il se situait sur une colline de la rive gauche en amont de l'oued Mekerra , au pied de laquelle se trouvait un douar de la tribu des Beni-Ameur qui occupait cette région dans l'ouest oranien .Cette dernière était alliée à l’Emir Abdelkader, l’adversaire coriace et indomptable de la France.

Ce Saint endroit est encore de nos jours ,un lieu de pèlerinage.

En Juin 1842 , une colonne de légionnaires commandée , par le Général Bedeau arriva sur les lieux et installa son campement en aval sur la rive droite de l'oued Mekerra à moins d'un kilomètre de ce marabout de Sidi-Bel-Abbès.

Ils construisirent une redoute (sur un emplacement plus tard dénommé " vallée des jardins"), qui prit le nom de ce marabout lequel par la suite, devint la ville actuelle.

Ce poste de guet occupait une position stratégique de premier choix, au milieu d'une plaine aride couverte de lentisques et de jujubiers, s'étendant à perte de vue, mais située sur le chemin caravanier des tribus arabes..

Dés 1847, après la reddition d'Abdelkader au général Lamoricière, grâce à la légion et à son chef de Génie le général Prudon , qui dressa les plans et traça les rues, la redoute se transforma en village puis en ville, et devint plus tard ce qui fût la perle de la Mekerra
.
Avec l'apport de ces légionnaires laboureurs et de l'immigration qui suivit leur sillage, la redoute s'étendit, prit de l'ampleur et prospéra rapidement Cette perle devait la pureté de son eau à ces pionniers travailleurs acharnés et persévérants parmi lesquels figuraient les ascendants de gens connus et réputés dans la
région, tels les Thiedey, Alberge , Delorme, Rodriguez , De Barry , Homé , Paul André, ellat.. . etc , j'en oublie malheureusement et d'aussi notoires , mais qu'ils me pardonnent car tous ont participé au bon renom et à la réputation de notre région.

Les Bellat constituèrent une véritable saga s'étendant de Claude Bellat, le premier arrivé en 1865 en passant par Lucien son fils, et Paul l’un de ses petit-fils (qui furent tous deux des Maires de la ville unanimement respectés et estimés pour leur honnêteté ,leur probité et leur sollicitude envers leurs administrés) jusqu'à mes camarades de lycée, Claude , tragiquement disparu dans un accident de la route en 1961 et Pierre , lequel ,à l'indépendance, s'installa à Bordeaux avec sa famille et ses parents.

Le père, Paul , l'un des derniers édiles de la ville ,qui honora mon mariage de sa présence est toujours un écrivain connu et respecté dans les milieux littéraires . Il est l'auteur de nombreux ouvrages ,dont la liste serait trop longue à énumérer.

Notre ville eût un maire communiste , un bon maire également, Monsieur René Justrabo, directeur de lycée . Un autre instituteur , Monsieur Dassié du parti radical , prit les rênes de la mairie jusqu'à l'indépendance .Tous furent appréciés et estimés, car chez nous les étiquettes politiques n’avaient que le mérite d’exister et ne voulaient rien dire et la cohabitation entre les partis n’était pas un vain mot. Parfois il y avait des polémiques à la Don Camillo ,mais jamais rien de sérieux et tout se réglait vite autour d’une anisette bien fraîche et d’une bonne kemia. Sidi-Bel-Abbès, en 1962, était un Chef lieu d'arrondissement de plus de 100.000 habitants et situé à tout juste 80 kms à l'ouest d'Oran
.
Elle fût surtout la capitale de la Légion Etrangère, le quartier Viennot étant le point de rencontre de tous ses légionnaires. Prés de 350.000 engagés volontaires de toutes origines et nationalités, passèrent par cette caserne et près de 40.000 d'entre eux, furent tués au champ d'honneur.

J'ai toujours eu beaucoup d'admiration et de respect pour ces hommes de qualité qui avaient pour devise "Français , non par le sang reçu, mais par le sang versé "et lorsqu'il m'arrive, aujourd'hui, d'en croiser un sur le quai d'une gare , du côté de Marseille ou d'ailleurs , je ne puis m'empêcher d'avoir un élan de sympathie à son égard. Ce ne sont pas, bien sûr, ceux que j'ai connus , mais ils ont la même allure et visiblement le même esprit. Pendant la bataille , ils avaient le courage et l'abnégation des héros de Homère et quand il s'agissait de faire la fête, là aussi personne ne les égalait.
120 ans plus tard , en 1962 , ils quittèrent Sidi-Bel-Abbès à jamais , c’est avec cette noble et martiale attitude qui les caractérisait ,qu’ils tournèrent le dos à l’Algérie , sans un regard en arrière ,les yeux fixés droit devant eux , en chantant et en immortalisant ainsi , la chanson d’Edith Piaf : “Non , rien de rien, je ne regrette rien ! ...”.

La commémoration annuelle de "Camerone" (qui est à la Légion, ce que le 14 Juillet est à la France) était pour eux et les Bel-Abbésiens ,une fête mémorable qui durait une semaine et les quartiers Viennot , Yusuf et Amilakvari , faisaient une opération "portes ouvertes", où la jeunesse locale se mêlait (ou .....s’affrontait au cours de bagarres mémorables )à ces légionnaires tant aimés (ou détestés suivant les circonstances du moment ), et de cette kermesse annuelle, débouchaient très souvent des idylles et des mariages, (...ou des plaies, des bosses et des coquards) lesquels pour contredire les historiens qui ne les situaient qu'en Gaule, généraient aussi en Algérie, de vrais petits gaulois aux cheveux blonds et aux yeux bleus, des Germains et même des petits vikings.

Mais le rapport affectif envers la Légion et ses Légionnaires prenait toujours le dessus et l’union sacrée entre eux et les pieds noirs ne fût à aucun moment un vain mot.

La Légion Etrangère fait toujours partie du patrimoine affectif des Pieds-noirs en général et des Bel Abbésiens en particulier.

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CHAPITRE TROIS


Mon enfance

Je suis né un jour de Mai 1933 à Sidi-Bel-Abbés, berceau de la Légion, cette authentique légende (1843-1962) . Mes arrières grands parents, les Salas, Salmeron (côté paternel) et les Albérola , Poveda (côté maternel) représentaient cette toute première génération d'immigrés venus d’Andalousie (Arbolea) en Algérie en 1867.

Ils s'installèrent par hasard à Sidi-Bel-Abbès, où ils se mêlèrent à d'autres aspirants à une vie nouvelle ,venus eux aussi comme la Légion , de tous les horizons , avec le mirage d'un billet d'aller simple et la promesse d'une prime de quelques hectares de terre en friche, qui représentaient le nouvel Eldorado à leurs yeux de paysans.

A l’école, en cours d’histoire, on nous enseignait que nos ancêtres les Gaulois avaient les yeux bleus et les cheveux blonds.

Ce n’était pas le cas de ces immigrés. Les seules couleurs qu 'ils avaient en commun avec notre Histoire et avec leur nouveau drapeau , étaient le Bleu du ciel, le blanc de leur unique chemise (lavée chaque soir à cause de la transpiration de la journée , et séchée devant un feu de bois et à la lueur d’une lanterne) , et le rouge de leur sang qu'ils répandirent sans compter , d'abord pour se protéger des quelques dissidents regroupés en bandes de pillards qui les harcelaient la nuit venue et ensuite quand on le leur demanda ,sur les champs de bataille de la Marne ou d'ailleurs.

Ils avaient eux aussi, pour idéal de défendre non seulement leur terre d'accueil devenue leur patrie maintenant, mais surtout le beau pays de France qui leur avait ouvert les bras et auquel ils s'étaient attachés viscéralement par d’autres liens que ceux de la filiation.

Quand la France appela tous ses enfants , les légitimes ,les naturels ,les adoptifs, bohèmes venus d'ailleurs, pour faire face à l' envahisseur, ils répondirent tous: présents! D'ailleurs , mon grand-père maternel Albérola , victime des gaz moutardes à Verdun , décéda de ses suites quelques mois après avoir été rendu à la vie civile. De ce fait ses trois enfants dont ma mère , furent reconnus pupilles de la Nation.

Mon grand-père paternel Salas, une vraie force de la nature , exerçait le dur métier de bûcheron et après avoir été démobilisé, chaque matin , assis sur sa charrette tirée par sa mule, souvent accompagné de ses deux garçons nés d‘un premier lit ,François mon père, et Perico mon oncle, (ma grand-mère décéda à 22 ans des suites de maladie), il accomplissait le trajet aller et retour de six kilomètres qui séparaient son domicile de la forêt du Khamissis , pour abattre et débiter des branchages qu’il fagotait pour les vendre dés son retour, le soir, dans les rues comme bois de chauffage, l’un des rares combustibles, avec le charbon et le pétrole, qui existaient à cette époque. Sa réputation d’homme courageux était connue de tous. On l’appelait ‘Pedro el leñatero”, mot à deux sens qui signifiait d’abord “Bucheron” mais aussi “le cogneur”,car aprés avoir mis ses garçons à l’abri sous sa charrette, n’avait-il pas mis en fuite ,armé de son gourdin ( sa seule arme), une fraction de la bande à Mimoun groupe de scélérats bien connus dans toute la région, qui rançonnaient les caravanes, dévalisaient et assassinaient parfois les voyageurs et les gens isolés.
Ce sont ces gènes que je revendique et dont je suis fier .Pour ma part ,c'est dans une ambiance de maçon (par mon père) ou de jardinier des quatre saisons (par ma mère) que se déroula mon enfance et mes camarades de jeux s'appelaient Claude , Gégé , Moktar(dit Pequeño) , Eugène(mon cousin), Gilbert ou Pepe .

En 1943, mon père, comme bon nombre de Français d’Afrique du Nord, fût mobilisé et envoyé à la guerre dans les rangs de l’armée de la France Libre sous les ordres du Général Weygand. Je n’avais que dix ans et ma mémoire est assez confuse sur cette époque car je manque de souvenirs sur la situation créée par la grande guerre ; mais ce que je sais c’est que ma mère avec peu de moyens et ne recevant qu’une maigre pension de l'Etat, s’arrangea de son mieux pour que je ne manque jamais de l’essentiel et d’une éducation suivie.
Le cercle de nos copains s’était élargi avec les arrivées de Daniel et Ubaldo, enfants réfugiés en provenance de la Mère Patrie envahie par les hordes Hitlériennes et d’Espagne déchirée par la guerre civile. Ils furent accueillis et adoptés durant tout le temps des conflits , par des familles dont la grandeur d’âme et la solidarité, ne furent jamais de vains mots.

.Nos jeux consistaient à se retrouver après l’école, pour aller nous baigner dans l'oued Mekerra , ou organiser des parties de foot interminables , sans se soucier des règles et se concluant souvent par une bagarre générale ; l’entente des larrons en foire s’installait entre nous dés qu’il s’agissait d’écumer les arbres des vergers et jardins d'alentour , et les jours de pluie nous jouions à la briska, jeu de cartes espagnol, où les mises étaient représentées par des illustrés de l’époque relatant les aventures de “Raoul et Gaston”, du “ fantôme du Bengale” de “ Mandrake”..etc. Notre imagination ,oh! combien féconde à cet âge-là, nous faisait rapporter des exploits imaginaires auxquels nous finissions par nous identifier et à y croire dur comme fer.

De temps en temps , échappant à la surveillance paternelle, nous allions nous cacher à la rivière pour lire des magazines érotiques pour l’époque où l’on voyait des pin-up glamoureuses..... en maillot une pièce, dont les longues jambes et les lèvres pulpeuses nous faisaient fantasmer) et ou pour faire comme les grands, on roulait des cheveux d’épis de maïs dans du papier journal qu'ensuite nous allumions. On essayait de tirer des bouffées de ce gros cigare informe et innommable qui nous faisait jaillir des larmes et tousser comme des perdus. Tout de suite après, nous plongions nus comme des vers, dans le plan d’eau que nous avions créé en construisant un mini-barrage avec des pierres entassées.

Avec nos stacks (lance-pierre) , nous étions d’une adresse diabolique, nous tirions au vol sur des espèces d’hirondelles comestibles et délicieuses ( les tchitchaouites ou couliblancos) pour nous faire des brochettes sur place. Et tout çà au milieu des éclats de rire et dans la joie.

Pour aimer rire, on aimait rire , rire aux éclats , de tout et de rien , mais c'était presque un signe de ralliement entre copains , un rire communicatif ,chaleureux et sans ambiguïté , une façon de nous reconnaître entre nous .Nous avions le même accent chantant qu'on exagérait à plaisir et les pisse-vinaigres ou “fils à papa” au parler pointu qui voulaient s'y essayer avec leur bouche en cul-de-poule, s'excluaient d'eux-mêmes de ce cercle d'amitié.

Dans ce cercle , outre nos nouveaux copains réfugiés, on trouvait des Arabes , des Juifs , des Espagnols , des Gitans, des Français , des Moussas (noirs Sahariens), la liste n'est pas exhaustive, mais chacun avait toujours un bon mot pour déclencher l'hilarité ou une mise en boite, jamais bien méchante d'ailleurs. Nous avions tous les mêmes gestes, les mêmes expressions, les mêmes mimiques .On se confondait finalement en un seul peuple, même si chacun avait sa propre religion. Nous étions si semblables, que "le vent de l'histoire " soufflé en cyclone en notre direction par quelques inconscients irresponsables , n'arriva pas toujours à nous séparer et à nous opposer. Nous avions aussi un sens aigu de l’exclusivité territoriale et malheur à l’intrus venant d’un autre quartier qui s’aventurait à courtiser une fille du notre. Il devait faire souvent ses preuves face à un frère ou à un autre soupirant et cela se réglait par un duel à poings nus au centre d’un cercle formé par les partisans de l’un et de l’autre des protagonistes . Bah! Cela n’allait jamais bien loin. Et quelle que fût l’issue de ce règlement de compte cela se terminait par une poignée de mains et la naissance parfois d’une nouvelle amitié. C’était quand même des joutes à la loyale , sans gravité et sans risques de mort d’homme.

On allait souvent au cinéma et nos salles préférées étaient celles où l’on affichait des films Italiens larmoyants, très en vogue à notre époque , genre “La faute d’une mère” ou “ coeurs ingrats”...etc ! Pourquoi ces films ? Tout simplement pour faire du “foyone”(chahut) et troubler les personnes sensibles qui reniflaient ou s'essuyaient leurs yeux larmoyants et sensibles aux malheurs de leurs héros, car on choisissait toujours ces moments pathétiques pour se faire remarquer par nos attitudes pas toujours de bon goût. En effet, on faisait sonner des réveils ou on émettait des rôts sonores ( Spécialité de Dédé dit Facorro,mon regrétté copain, disparu en 1978 ). On se faisait engueuler, maudire, à notre grande joie et Monsieur Ouazana, le brave pompier de service venait nous supplier d’arrêter nos (c.......!) facéties. Seuls les westerns ou les films d’aventure avaient grâce à nos yeux et nous gardaient haletants et passionnés .

On s'amusait bien , sans oublier toutefois de faire d’abord nos devoirs ramenés de l'école communale ou du collège car nos parents n'auraient jamais accepté que l'on soit aussi peu instruits qu’ils l’étaient eux-mêmes. C'était l'époque du Certificat d'études, du brevet élémentaire et supérieur et des deux baccalauréats.

C'est inouï l'importance qu'attachaient nos "vieux" à ces diplômes qui classaient leurs enfants dans la hiérarchie des valeurs et du respect et je me souviens avec tendresse et un peu d'émotion de la fierté et de l'orgueil qu'ils éprouvaient lorsque l 'un de leurs gosses décrochait l’un de ces diplômes, eux qui bien souvent savaient tout juste lire et à peine écrire. Aussitôt le précieux document prenait place dans un cadre sur le haut de la cheminée, où sur le mur de la pièce principale , placé bien en évidence pour que chacun puisse le voir et l'admirer, et peut-être même l'envier un peu .

Cela pour préciser que l'enseignement laïque était de qualité pour ceux qui voulaient bien s'y adonner , dispensé par des instituteurs ou institutrices ayant de leur métier une haute idée. Enseigner était pour eux un apostolat , qui allait bien au delà de leur simple mission, exerçant leur fonction avec un dévouement et une rigueur sans bornes envers ces élèves de toutes races et de toutes confessions.

Je crois que la joie de vivre qui nous habitait , venait en ligne directe de nos arrières grands-parents qui aimaient faire la fête , boire de l'anisette ,du vin ,de la bière ou de la manzanilla et danser sous n'importe quel prétexte . Ils avaient abandonné leur terre natale pour une autre, qu'ils pensaient plus accueillante, et qui n'était en fait que sol en friche , cloaques et marécages, mais à leurs yeux synonyme de liberté ,de vivre leur vie, de créer et d'entreprendre.

Le travail dans ces sols inhospitaliers leur avait apporté le paludisme et bien d'autres maladies endémiques dont ils avaient gardé la trace leur vie durant . Il leur teignait les pieds jusqu'aux genoux d'une tourbe noire et nauséabonde qui aurait pu aussi leur valoir de la part des Arabes, l'appellation de "pieds noirs", c'est en tous cas la version que j'aurais préféré et de loin ,car elle aurait reposé sur quelque chose d'authentique ,donnant des lettres de noblesse à cette expression qui a fait couler beaucoup d'encre et crée tant de polémiques sur son origine.

La suite , tout le monde la connaît. Et des personnes plus qualifiées que moi , ont tout dit ou presque, et suffisamment pour que "les bonnes âmes généreuses" et les "porteurs de valises" faux intellectuels et faux-culs , mais vrais progressistes (qui se reconnaîtront d'eux-mêmes ), n'aient pas la mauvaise conscience d'avoir aidé à provoquer le plus grand abus de confiance jamais vu dans l’histoire d’une nation, et d'avoir aidé l'opinion publique à se faire des "Pieds Noirs" une image ternie maintenant par le temps, mais qui fit que 1.500.000 de Français ne furent pas pour tous les bienvenus ici, dans leur propre pays.

Dommage , qu'à cette époque ,ces "grandes consciences" prêtes à s’émouvoir et à tirer sur tout cequi bouge n'aient pas fonctionné dans le sens de leurs propres compatriotes "Rapatriés" Européens ou Algériens ; ceux-là mêmes qui à un certain moment de l'histoire, entre 1940 et 1945 , accueillirent et adoptèrent, comme certaines familles que j’ai connu , sans se poser de questions des milliers de réfugiés de la mère Patrie (dont peut-être les propres parents de ces intellos )fuyant les hordes germaniques . Question de conditionnement idéologique et de tempérament sans doute !...Que Dieu leur pardonne, s'il les en juge dignes !

A l'aube du 21° siècle, les rêves d'un enfant de dix ou douze ans gravitent pour la plupart autour de la télévision par satellite , l'informatique , les jeux électroniques et ils surfent comme des professionnels sur les vagues d'internet. Leur maturité est telle que dans toutes les disciplines scolaires ou sportives, ils sont meilleurs que nous ne l'étions, plus rien ne les étonne car cela va de soi, mais... il n'y a presque plus de place pour l'impromptu, le rêve , le merveilleux et l'irréel.

De mon temps , l'impromptu , le rêve, le merveilleux et l'irréel étaient matérialisés par toutes ces joies simples et naturelles décrites plus haut, par les aventures de héros de bandes dessinées ( Raoul et Gaston, fantôme du Bengale...etc) et aussi par les aventures du Tarzan d’Edgar-Rice-Burrough, de l'Arsene Lupin de Maurice Leblanc, du Fantomas de Marcel Alain et Paul Souvestre ,des oeuvres de Jules Verne , Paul d'Ivoi , la Comtesse de Ségur , Louis Boussenard , Alexandre Dumas et autres Paul Féval , et surtout par les exploits sportifs de quelques héros de notre époque , tels les Alain Mimoun , Zatopek , Coppi , Alex Jany et surtout notre Marcel Cerdan ,ce boxeur de chez nous, né ici à Sidi-Bel-Abbès en 1916 et expatrié ensuite au Maroc tout proche, dont la brillante et prometteuse carrière fût différée par la guerre , et dont le seul nom suffisait à paralyser ses adversaires d' une crainte respectueuse , synonyme d'une défaite rapide dans la plupart des cas.
Lui aussi fût une authentique légende. Et ce Pied-noir là , ne gêna jamais l'opinion métropolitaine par ses origines, au contraire.

Ce que les gens ignorent ou font semblant d ’ignorer, c’est qu’il y eut d’autres Pieds-noirs célèbres qui firent beaucoup pour le prestige de la France , entr’autres : le Maréchal Juin , l’acteur Pierre Blanchard , le grand écrivain Albert Camus, la chanteuse Colette Mars. D’autres natifs de Sidi-Bel-Abbès ne sont pas moins célèbres, tels Gaston Julia , maître de conférences et professeur de maths à la Sorbonne à vingt-sept ans, René Viviani qui devint Président du Conseil en 1913....et j’en passe!

Lors du débarquement des Américains , à Alger , et avant la campagne d'Italie, Marcel Cerdan fitune consommation gloutonne de leurs meilleurs boxeurs . Aucun ne dépassait le deuxième ou troisième round . A tel point que leurs frères d'armes ne pariaient plus sur le nom du futur vainqueur du combat , mais sur le round auquel le G.I serait mis K.O. Son plus valeureux adversaire à cette époque, fût un Français, le regretté et vaillant Algérois Omar Kouidri , qu'il rencontra et battit quatre fois mais jamais avant la limite.

On s'identifiait tous au "bombardier Marocain" et nous rêvions de lui ressembler car il était notre idole .

Nos seuls moyens d'information étaient l'Echo d'Oran, l’Echo d’Alger ou l'Oran Républicain (journaux régionaux), la TSF à laquelle nous nous collions à chacun de ses combats , le bar "des sports" de monsieur Mazeau (correspondant régional de l' Echo d'Oran) qui plaçait des hauts - parleurs pour que chacun écoutât autour de l’ anisette traditionnelle. On les suivait aussi par les actualités de Pathé Journal, au cinéma de quartier, et l'achat d'hebdomadaires de l'époque, qui s'appelaient "Miroir des sports" ,"Bût et Club" ou "Miroir sprint". Leur coût dépassait souvent nos petits moyens et heureusement que certains porte-monnaie maternels se trouvaient toujours à point nommé à notre portée pour que nous y puisions sans vergogne les quelques pièces de monnaie qui pouvaient nous manquer.

Avec mon ami Guy Bruguières ,ex pilote d’essai de l’armée de l’air, retraité maintenant, (que j'ai également retrouvé en France et avec lequel je corresponds toujours), nous rapportions parfois pour le compte de Mr Mazeau, les compte-rendus des événements sportifs de la région, à charge pour ce dernier de les accommoder, souvent de les laisser tels quels pour pouvoir les faire éditer ; bien entendu ils nous valaient l'entrée gratuite sur tous les stades. Ce dont nous ne nous privions pas. Nous n’étions pas des Leo Palacio, grand journaliste de l’Echo d’Oran, né ici , mais nous écrivions ces articles avec beaucoup de foi et de respect des événements relatés.

Ah, Guy ! Que de souvenirs nous avons en commun. Je me souviens de la gentillesse de tes parents et des liens quasi fraternels qui nous unissaient. Nous n’avions pas de secrets l’un pour l’autre et nous n’ignorions rien de nos amours heureuses, malheureuses ou platoniques et là je me rappelle d’une certaine Niva , une vraie Miss de concours , qui te faisait bien gamberger à l’époque mais elle était déjà en mains . Peut-être est-elle passée à côté de sa chance, qui sait ?

Souvent on nous a prit pour deux frères. Comme c’est loin tout ça et pourtant quand on s’est retrouvés quelques 35 ans après ,nous avions l’impression de nous être quittés la veille .Nos cheveux avaient blanchis et notre crâne s’était un peu dégarni mais quel bonheur ce fût et c’est encore aujourd’hui de s’appeler, d’échanger nos voeux ou de se rencontrer autour d’une bonne table ou du pot de l’amitié.

Pour en revenir à notre Marcel national, son apothéose fût sa campagne américaine initiée par un combat contre Holman Williams, en passant par Georgie Abrams, ..etc. Tous ses autres adversaires américains furent battus avant la limite, jusqu’au moment où il fût désigné comme challenger au titre mondial qui, à cette époque ,était détenu par deux champions interchangeables, Tony Zale et Rocky Graziano qui se knockoutaient allègrement chacun à tour de rôle. Finalement, ce fût Tony Zale, vainqueur de leur dernière confrontation ,qui donna sa chance à notre Marcel national.

La nuit du combat, nous passâmes tous une nuit blanche scotchés à la radio, le championnat du monde s'étant déroulé vers quatre heures du matin, à cause du décalage horaire.

Marcel Cerdan devint cette nuit-là, champion "number one" des poids moyens, après sa sensationnelle victoire sur Tony Zale, par KO technique à la fin du 13° round.

Le lendemain, quelle folie dans les rues ! Et quelle kermesse !

Depuis que je fus en âge de m'intéresser à lui , je découpai soigneusement chaque article qui lui était consacré avec les photos de ses combats et de ses adversaires et je collai l'ensemble sur les pages de gros cahiers ,qui représentaient à mes yeux, un trésor inestimable que je rangeais méticuleusement dans mon armoire ,à la suite de ceux que je possédais déjà , et que j'ai gardés précieusement jusqu'au moment de l'exode, car je ne pouvais pas tout emporter, hélas !
Sa défaite injuste face au sulfureux Jake La Motta nous resta longtemps en travers de la gorge, et le sort funeste et injuste qui le priva d'une revanche unanimement souhaitée et attendue, fit que nous éprouvâmes à l'égard de ce voyou une rancoeur qui ne s'estompât qu'avec la raclée que lui infligea le superbe et grand Ray Sugar Robinson.
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CHAPITRE QUATRE

Mon adolescence

Depuis cette époque lointaine, j'ai toujours ressenti une grande attirance pour le noble Art ( cela devait venir de famille car mon oncle Périco avait été un bon boxeur dans sa jeunesse) et mon grand regret, si l'on peut dire, fût d'avoir des parents qui m'adoraient ,adoration que je leur rendais bien, mais un tantinet envahissante et qui leur faisait éprouver à mon égard les pires craintes de me voir monter sur un ring pour recevoir ou donner des coups à quelqu'un qui ne m'avait rien fait .Peut-être, le fait d'être fils unique expliquait cette attitude possessive de leur part .

Celle-ci s'atténua un peu avec l’arrivée d’une petite cousine germaine ,Marie-Lise, qui s’en vint vivre chez nous au décès catastrophique de sa maman , soeur de ma mère qui laissait une famille de six enfants C’est la petite soeur que j’avais toujours souhaité.

.Une autre de ses soeurs, Claudette, partit chez le frère de ma mère et de ma défunte tante . Christine , l’aînée, à peine âgée de douze ans, devint la maîtresse de maison et prit en mains, avec courage, son père et le reste de la famille..

Pour en revenir au noble art , j'ai bien essayé de pratiquer ce dernier en cachette de mes parents, car de l'aveu de mes partenaires et de mon entraîneur j'avais des dispositions réelles, mais parfois après des entraînements plus poussés qu'à l'accoutumé, il m'arrivait de rentrer chez moi avec quelques bleus ou hématomes que je ne pouvais bien évidemment pas dissimuler, déclenchant à chaque fois l'ire paternelle.

Je partageais cette passion avec un excellent copain , que je perdis de vue à l'âge adulte suite à son départ en Métropole ( bien avant la guerre d'Algérie ) , où il poursuivit une honorable carrière de boxeur. Ce copain est Jean Molina, manager de boxe et cutman réputé bien connu dans les milieux professionnels de la boxe .Son écurie, à Marseille, est très réputée.

A cette époque ,notre club possédait de solides espoirs lesquels, outre Jeannot Molina comprenait les Ernesto (Tchato) Diaz, Galiana (champion d’Oranie des mouches), Lili george et son frère Manou, Sekkal, Hamzaoui, Allouche, Caparros...etc. Quelle merveille de les évoquer!

J'ai repris contact avec Jean Molina et son frère Gilbert qui est son assistant, et nous nous rencontrons de temps en temps un peu trop rarement à mon goût , lors de certaines soirées organisées par les rapatriés ou lors du pèlerinage annuel a Notre Dame de Santa Cruz a Nîmes. Par contre, je le vois souvent a la télé ,lors de grandes réunions de boxe en France ou a l’étranger dans le coin de ses poulains qui comptent ou ont compté des champions tels Fabrice Bénichou ou Julien Bobo Lorcy qu’il assiste et soigne aux côtés de son père.

Entre les rounds, il les engueule , les couve et les bichonne avec sollicitude , compétence et la même passion qui le caractérisait déjà dans sa jeunesse et il leur prodigue ses conseils avisés qu’ils écoutent religieusement.
Le 28 Octobre 1949, jour sombre entre tous, le constellation d’Air France qui emmenait Cerdan vers les Etats-Unis , s’écrasa sur une montagne de l’archipel des Açores.

Dans ce terrible accident , il n’y eu pas de survivants et outre Marcel, on compta parmi les victimes, son manager Jo Longman et la célèbre violoniste Ginette Neveu.

Je ressentis longtemps le vide que provoqua en moi sa disparition comme si j’avais perdu un parent proche .

En Algérie ,à cette époque, une autre de nos passions, était le foot-ball. A Sidi-Bel-Abbès, nous avions la chance de posséder le meilleur club d'Afrique du Nord et aussi le plus titré ,le S.C.B.A , Sporting Club Bel-Abbésien, dont pratiquement les 2/3 de l'équipe étaient régulièrement retenus en sélection d'Oranie. Il est vrai que nous avions une source intarissable de joueurs du crû , renforcés par l'apport apprécié du creuset de la Légion Etrangère ,laquelle nous fit rêver avec les Plooner (goal international Autrichien), Yung, Schunke..etc. Chacun se souvient des Rodriguez , du regretté Pepe Domingo
(l’oncle de mon épouse) dont la ruse n’égalait que le talent, ce qui lui avait valu le surnom de “renard à moustaches), des Hubert Gros, Aber , Salas (mon cousin)
, Piou Diaz et Vivi Macia (mes amis) et tant d'autres.

Le SCBA s'enorgueillissait aussi d'accueillir d'autres joueurs venant de France ou d'ailleurs tels les Dakowsky, Olmiccia, Bottini, Marion, Taillepierre, Lepage lesquels sous la férule du “magicien” René Rébibo, venaient consolider notre équipe.
Ah ! Ce Sporting, quel coeur et quelle volonté. Ils ne s’avouaient jamais battus et luttaient jusqu’à la dernière seconde. C'était notre Olympique de Marseille à nous et en plus ils jouaient en blanc, juste en face de Marseille, de l'autre côté de la mer, et je crois que c'est à cause de cette similitude, que par mimétisme, les nostalgiques de cette grande époque, aiment autant l'OM d'aujourd'hui. Nous étions vraiment le club phare d'Algérie.

Un autre grand club, l’ USMBA (Union Sportive Musulmane Bel-Abbesienne) nous donnait des sueurs froides, lors de nos derbies.. Ils avaient de grands et brillants joueurs, tels les frères Bendimered, les Guellah et autres dont les noms s’estompent dans ma mémoire, et ils étaient entrainés par un monument du foot-ball Francais, notre perle Noire Larbi Ben Barek du Maroc.

Grace au SCBA, j’ai découvert la France pour la première fois ,avec mon épouse, en 1960, en effectuant le déplacement comme supporter ,car le SCBA était opposé au F.C Nancy à Macon en un match comptant pour la demie finale du championnat de France amateur, match qu'ils perdirent contre le courant du jeu par 1 à 0 sur un bût de Collot. Celui-là, je ne risque pas d'oublier son nom.


Les événements d'Algérie, n'empêchèrent nullement le déroulement des championnats régionaux, car une sorte de consensus existait entre les équipes qui les composaient. Le dernier champion en date, fût bien entendu notre SCBA, dont le souvenir perdurera longtemps dans les mémoires de ceux qui l'ont connu et aimé.

Jusqu'à l'indépendance, tous les clubs, pourtant composés de sportifs de toutes confessions, donnèrent le meilleur d'eux-mêmes, tant l'amour des couleurs qu'ils défendaient était supérieur à l'ostracisme ou au racisme dont pieds noirs et musulmans étaient injustement accusés. Il est vrai que ces notions, qui ne concernaient qu'une minorité, avaient peu de place dans notre vie de tous les jours tout en étant régulièrement accréditées par une certaine presse et cette intelligentsia de bas étage déjà évoquée.

Cette passion qui nous animait en Algérie, nous l’avons reportée, en France, sur d’autres belles équipes et d’autres grands joueurs qui eux aussi nous ont fait vibrer.

Les Platini, Trésor, Giresse, Papin, Zidane... Etc, sont encore là et même si certains ont arrêté, ils font désormais partie eux-aussi de notre patrimoine affectif

A l'âge de dix ans , je quittais l'école communale pour rentrer à De Sonis, institution catholique privée où selon mes parents je bénéficierais d'une meilleure éducation... Hum ! De cette époque ,j'ai conservé de bons et mauvais souvenirs. Je ne m'attarderai pas sur les mauvais qui généralement s'oublient très vite, pour n'évoquer que quelques bons qui se traduisent par des amitiés qui au delà des années et des dispersions , restent toujours vivaces .Il m'est arrivé de rencontrer ici en France quelques uns d'entre mes potes de l'époque, dont mon bon copain d'école Alex Homè , qui était l'exemple type de l'élève à qui on aurait aimé ressembler ou qu'on aurait aimé avoir pour ami , sérieux , studieux et loyal et que par hasard et par bonheur, j'ai croisé un jour dans un supermarché de Perpignan , presque cinquante ans après .Je l'ai reconnu au premier coup d'oeil . Depuis je le revoie souvent ,car nous habitons le même quartier à Cabestany . Son caractère est toujours pareil . Bien sûr ses tempes ont blanchi , les miennes aussi , mais lui, a conservé cette allure et ce regard un peu mystique qui le caractérisaient. Sa présence est toujours aussi recherchée par ses nombreux amis , comme au temps où nous étions étudiants.

Dans ce lycée "de Sonis", dirigé par les pères blancs , j'y ai suivi mes études jusqu'à l'âge de seize ans. J' aurais pu mieux faire , semble t- il , si l'on devait croire les appréciations annotées sur les bulletins mensuels de mes instituteurs , et j'aurais dû être un bon élève si j'avais accordé à mes études la même attention et le même intérêt que je portais aux filles ,aux copains , à l'insouciance et à la joie de vivre ,au grand désespoir de mes parents, qui n'en pouvaient mais !


Mais le règlement intérieur et moi ne faisions pas bon ménage et bien qu'étant en classe de seconde et presque en fin d'année scolaire, le conseil de discipline (très stricte) ,à laquelle j'avais du mal à me plier , (au grand désespoir de certains de mes professeurs tels que messieurs Bérard , Godard , Bousset... etc, ) demanda et obtînt mon renvoi de l'établissement , après quelques manquements justement à cette discipline.

A la fin de la dernière guerre , rendu à la vie civile , mon géniteur de père , las d'exercer le dur métier de maçon pour le compte des autres, s'associa avec son meilleur ami , maçon comme lui , et avec l'aide de deux manoeuvres , leurs mains et leur outillage, créèrent une petite entreprise artisanale.

Le contexte , à cette époque , faisait que les initiatives de ce genre, étaient vouées au succès ,tant le besoin de logements était pressant . Leur sérieux et leur professionnalisme aidant , firent que en deux ans ils se trouvèrent à la tête d'une entreprise groupant une quinzaine d'ouvriers.
Lorsque j'annonçai timidement à mon père que je venais d'être mis à la porte du lycée , il entra dans une de ces colères pagnolesques dont il avait le secret et il m'annonça, tonitruant que dorénavant c'est la truelle et la gamate (auge ,dans le jargon du bâtiment) qui me serviraient de stylo et de pupitre.

Courroucé et hors de lui , il m'envoya immédiatement sur ses chantiers, comme manoeuvre et apprenti maçon.Il me mit entre les mains de son chef de chantier , Monsieur Louis, un ancien légionnaire et de Hamza son maçon préféré qui avait été l’un des deux manoeuvres de ses débuts, (il me vit naître et le l’avais toujours vu sur tous les chantiers et je l’aimais bien) donc le plus ancien ,sachant par avance qu’ils ne me laisseraient rien passer et qu’ils se feraient une joie maligne et un peu sadique de dresser le fils de François. Ah, les braves gens! Ils ne sont probablement plus de ce monde mais ils sont présents, là ,quelque part dans ma tête, même si j’ignore ce qu’ils sont devenus. A propos de Hamza , bien des années plus tard et juste à l’époque de la signature des accords d’Evian, alors que je m’étonnais de son absence sur la chantier, lui qui était la ponctualité même, j’apprenais par son frère , Lachmi, un autre pilier de l’entreprise, que Hamza était alité et gravement malade à cause de violentes douleurs abdominales. Bien entendu je lui demandais pourquoi il ne l’avait pas amené à l’hôpital. Sa réponse fusa nette ,il craignait une action de l’O.A.S ; il faut dire qu’à cette époque la scission était réelle et si dans la journée chacun pouvait vaquer à ses occupations , le soir venu un no man’s land se créait entre les quartiers européens et les quartiers musulmans et la peur s’installait chez tous les habitants quelle que fut leur confession.( nous étions les otages de toutes les tendances ,OAS , FLN ou CRS gardes-mobiles ,qui nous prenaient sous leurs feux croisés ).

Par ailleurs, Hamza demeurait à la cité Seneclauze, au Nord Est de la périphérie de la ville, où tout “non musulman” était indésirable.

Je connaissais parfaitement les lieux, pour en avoir effectué le relevé topographique maison par maison et ruelle par ruelle ,à l’époque où je travaillais chez
Monsieur Condamine, géomètre réputé, qui avait pour mission d’ établir une mise à jour des plans des différents quartiers de la ville.

Malgré sa réticence , je demandais à Lachmi de m’accompagner et me rendais sur place pour voir de quoi il en retournait exactement.

Nous laissâmes notre véhicule dans une ruelle et je suivis Lachmi jusqu’au domicile de son frère .Nous entrâmes dans une courette aux hauts murs et comme le veut la tradition musulmane, fit évacuer les femmes qui s’occupaient de Hamza .

Il gisait là, étendu sur une couverture, les yeux mi-clos , moribond et le visage cireux. C’était un petit gabarit pesant tout juste 60 kilos. Ma décision fût vite prise, je le soulevais de terre et demandais à Lachmi de m’ouvrir le chemin. Nous l’installâmes sur le siège arrière de ma voiture et détalâmes sur les chapeaux de roue, jouant de l’effet de surprise que nous aurions pu créer par notre arrivée impromptue.
Nous le conduisions à la clinique Raynal où le médecin de service âpres l’avoir examiné , diagnostiqua immédiatement une péritonite aiguë qui aurait dû être soignée depuis longtemps et l’envoya en salle d’opération en urgence . Les gens de son entourage, ignorants son mal, étaient tellement convaincus qu’il allait mourir, qu’ils l’avaient déjà rasé de la tête aux pieds selon leur tradition qui veut qu’il meurt propre comme au jour de sa naissance pour aller au paradis d’Allah.

Je garantissais le paiement des honoraires de la clinique et rentrai chez moi.

Prenant des nouvelles dans la soirée, on me confirma que l’opération avait réussi et que pour l’instant le pronostic de rétablissement était réservé mais optimiste quand même.

Il s’en tira effectivement et quelques semaines plus tard il reparût au chantier à la joie et au soulagement de tous ceux qui l’appréciaient.
C'est ainsi que peu à peu se forgeait mon apprentissage et ma formation professionnelle à la dure école de la vie des chantiers et que j'apprenais à découvrir et respecter des valeurs, dont je n'avais vraiment pas grande idée jusqu’alors.
Mais ma nouvelle vie au grand air sur les chantiers, me plaisait et m’exaltait et j’oubliais vite l'atmosphère empesée et la discipline de fer de Sonis ,à laquelle je n'avais pas réussi à me plier, malgré les colles du Jeudi ou du Dimanche et les punitions corporelles parfois (taloches, quelques coups de pied aux fesses , coups de règle sur les doigts ...etc), lesquelles de nos jours auraient entraîné une mise en examen immédiate de leurs auteurs et leur condamnation. Mais maintenant je réalise que grâce à cette discipline et à ces corrections ( vénielles), on ne connaissait pas le laxisme ,la violence, le racket, la drogue, le “je m’en foutisme”, le laisser-aller et le soi-disant “mal des banlieux”.( Je suis sûr que si j’en avais parlé à mon père, il en aurait rajouté une couche au lieu d’aller taper sur la gueule à mon professeur).

Je pouvais enfin donner libre cours à mon tempérament , libérer mon énergie et ma joie de vivre.

J'adorais sortir avec les copains, danser; nous écumions les fêtes de village (Détrie, Bou- Kanefis, Palissy...et autres) où l’on dansait au son de la musique d’ orchestres de réputation internationale tels les Perez Prado, Xavier Cugat, Aimé Barelli, Los Javaloyas et son fameux chanteur Rodolfo Zambrana, Antonio Machin...etc ; nous avions aussi notre grand chanteur régional ,le regrétté Gilbert Salvador un vrai crooner à la voie chaude et virile, oncle de Facorro déjà cité et décédé lui aussi, dans un accident de la route entre Perpignan et Rosas; s’il avait eu la chance de rencontrer un impresario de métier , il aurait sûrement fait une grande carrière . Je possède l’un de ses 45 tours que m’avait offert son frère jumeau André, un ami que je rencontre de temps à autre à Canet-En-Roussillon où il a une résidence secondaire.

Et les filles de notre Oranie, quel creuset de qualité nous avions là. Le mélange des sangs entre fiers et bouillants Espagnols-arabo-andalous et tenaces et loyaux Alsaciens-Lorrains , produisait une race à part où la grâce altière et la beauté se disputaient la première place . Enrico Macias n’éxagéra rien en chantant : "Ah ! qu'elles étaient jolies les filles de mon pays" . C'était l'époque du mambo , du tcha-tcha et de nos premiers flirts avec Josette , Mathilde, Yolande, Jeannine et bien d’ autres mais en tout bien tout honneur, car elles sont probablement maintenant d'honorables mères de famille et pour certaines des mamies , sûrement .

C’était aussi nos premières cigarettes pour avoir une contenance au bal ou se donner l’ attitude virile des Humphrey Bogard , Clark Gable , Robert Taylor ,et autres stars de rêve et inoubliables du cinéma noir et blanc ou des premiers films “ couleur.” Mais c’était aussi tomber dans le piège du tabac, et beaucoup d’entre nous, dont votre serviteur , regretterions plus tard cette dépendance acquise par jeu au début. Quelle connerie !
Cette étape de ma jeunesse a été marquée par l’empreinte d'autres amis très chers, je pense en particulier à Yvon , Mathias , Azzouz , Sebastien , Etienne , Yoyo , Dédé, Caca , Loulou... .Si je devais les citer tous ,il me faudrait un bottin. Mais je les aimais comme des frères et ils resteront dans ma tête tant qu’il me restera un souffle de vie.
J 'en ai conservé de tels souvenirs, qu'il m'arrive encore de rechercher ces potes formidables qui l’ ont jalonné . Beaucoup d'entre eux ont disparu,ou victimes malheureuses d’attentats en Algérie, (tel mon ami Vandelin tué par une grenade aveugle; il ne connût jamais ses jumeaux venus au monde deux ou trois mois après.).. ou décédés en France .J'ai d'ailleurs un peu d’appréhension chaque fois que je lis la rubrique nécrologique de notre seul lien journalistique encore existant, "l'écho de l'Oranie" et quand je tombe sur le nom de l'un d'eux , je ressens un choc au creux de l’estomac et mes entrailles se nouent . J'ai beau me dire que la mort fait partie de la vie et qu'elle en est son aboutissement , je n'arrive pas à admettre ce postulat que je considère parfois comme une injustice de la nature. Je sais pourtant qu'un jour ce sera mon tour et que de la-haut , peut-être ,si Dieu yconsent , arriverais-je à mon tour à lire mon nom dans la même rubrique. Mais en attendant, je m'insurge toujours contre cette fatalité comme si je pouvais changer quelque chose et je ne peux que me recueillir et penser à ceux que je n'ai jamais pu revoir ou que je ne reverrai plus .

Là , à Perpignan où je réside actuellement depuis mon départ à la retraite, j'ai l'immense privilège d' avoir retrouvé des membres de ma famille et quelques uns de mes amis de toujours qui faisaientpresque partie de cette dernière. Nous nous réunissons très souvent autour de n
os traditions pleines de convivialité et de fraternité qui nous font ranimer la flamme de nos souvenirs avec un grand bonheur ,et parfois un peu d'émotion que nous cachons pudiquement quand même.......N'est-ce-pas Fernand ,Gisèle, Gilbert et Evelyne ?


Ci-avant mes amis (La Salamandre- Algérie 14 août 1953), mon cousin et moi-même dans le même ordre (Cabestany -France 02/02/2000) sur les 2 photos

Je me suis fait aussi d’autres bons amis d’ici car “Pieds-noirs” ou “Catalans” où est la différence ? nous ne sommes responsables en rien de la direction choisie par nos ancêtres Espagnols lors de leur départ en exil. Et certaines barbecues-parties sont là, pour nous rappeler que nos goûts et nos valeurs se valent et que nos expressions verbales ou notre parler, s’ils n’ont pas le même accent ont le même sens et la même origine.

Mais pour en revenir à cette époque encore calme et sans nuages, et pressentant qu'à cet apprentissage sur le tas , je devais adjoindre une formation technique , je regrette avec le recul , mon laisser-aller , ma forme de paresse et mes carences lycéennes.

J'entrais alors au service , le matin, d'un cabinet d'architecture ou j'apprenais à tracer, dessiner et dresser des plans de construction et l'après-midi j'allais à un bureau d'études où je m’initiais aux calculs élémentaires de béton armé , la mise en application des plans de ferraillage , et la mise en oeuvre des techniques du béton.( Merci du fond du coeur à mes Maîtres d'alors ,Messieurs Benkemoun et Keller qui doivent sûrement être au paradis des constructeurs, car ils ont laissé l’empreinte de leur talent dans tout le département ) .

Parallèlement à l'Algérie , le Maroc voisin connaissait également un essor considérable et une embellie . L'ambition des deux associés , n'ayant pas de limites , ils décidèrent d'ouvrir une agence à Casablanca ,où s'installa avec sa famille, l'associé de mon père.

Cette idée fût également couronnée de succès et bientôt l'association des deux maçons, se transforma en la création d'une P.M.E d'une centaine d'ouvriers répartis entre Sidi-Bel-Abbès et Casablanca.

L’honneur de construire le premier immeuble en co-propriété à Sidi-Bel-Abbès, revint à mon Père. On l’appella “BEL HORIZON”( 1952-1953)

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CHAPITRE CINQ


Ma jeunesse
Aujourd'hui, je bénis cette initiative car c'est grâce à elle que j'ai rencontré celle qui partage ma vie depuis presque cinquante ans .

La nouvelle entreprise algéro-marocaine faisait que souvent mon père se rendait au Maroc ou bien son associé venait en Algérie lors de réunions importantes ou de prises de décisions relatives à la bonne marche de leur affaire.

Au cours de ses voyages à Casablanca où ma mère et moi,(... malgré moi et contre ma volonté ,à cause des copains) l'accompagnions souvent, il m'arrivait au bout de quelques jours d'en avoir assez d'être sous la férule parentale .J partais seul toute la journée, à la découverte de cette magnifique ville de Casablanca.L'un d'entre eux allait changer le cours de ma vie.

Chaque fois qu'il m'était possible , ma première visite consistait à me rendre en une sorte de pèlerinage à la brasserie "Marcel Cerdan".


Et c'était toujours avec une certaine émotion que je regardais les murs tapissés de photos agrandies relatant ses exploits et la vitrine renfermant ses gants ,sa culotte ,sa ceinture de champion du monde et ses trophées.

Sa famille gérait la bonne marche de l'établissement, et sa veuve Marinette, se tenait à la caisse avec en permanence dans les yeux, me semblait-il, un voile de tristesse que je pouvais comprendre parfaitementCe jour là , après ma visite chez "Marcel", j'allais au cinéma voir un western sur écran "CinémaScope" pour la première fois de ma vie .

Après le film et la nuit commençant à tomber ,je décidais de rentrer chez l'associé de mon père, où nous étions hébergés et dans ce bût, me rendais vers la place de France, gare d'arrivée et de départ de tous les autobus de la ville .

Arrivé sous le panneau indicateur de la direction que je voulais prendre , il fallait emprunter un passage pour une seule personne à la fois, balisé par deux tubes horizontaux faisant office de main-courante pour accéder à la porte d'entrée située à l'arrière de l'autobus, la sortie se trouvant à l'avant.

J'entrai un des premiers et allai m'installer en tête, sur un siège à deux places , adossé au conducteurLe véhicule se remplissait progressivement et je vis tout à coup venir vers moi quelqu'un qui avait vu que la place à mes côtés était libre.

Je n'aurais jamais prêté attention à ce gars , s'il n'avait été d'une malpropreté visible et s'il n'était arrivé en se grattant comme un perdu.

En un éclair, réalisant que je risquais de récolter quelques poux auxquels je ne devais rien , je m'adressais à un inconnu qui se tenait à ses côtés et lui montrant le siège , lui disais d'une voix haute et dégagée :"Venez vous asseoir ,Cher Monsieur , je vous ai gardé votre place".

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